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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/31

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contre moi que témoigneraient ceux qui ont entendu notre entretien !

Jean se redressa, indigné.

— Laisse-moi finir, répondit Johann avec calme ; je ne menace pas, entends-tu bien ? je raconte… Ces deux hommes que tu vois là-bas (il montrait du doigt dans la foule Mâlou et Pitois) étaient derrière toi quand tu as parlé, et ces deux hommes m’appartiennent…

Jean avait vu ces deux figures dans les demi-ténèbres du cabaret des Quatre Fils ; il eut un vague souvenir : il crut.

— Tu m’as dit, poursuivit Johann, que, pour la jolie Gertraud qui t’aime et pour ta mère, tu étais prêt à tout… Alors moi qui avais pitié de ton désespoir, je t’ai donné le moyen d’être heureux, et tu as fait un serment.

— Qu’importe un serment de cette sorte ! s’écria Jean.

— Cela importe peu, répliqua Johann, quand on n’est pas forcé de le tenir.

Jean le regarda en face et secoua la tête lentement :

— Je suis trop malheureux, dit-il, pour avoir peur.

— Ça te regarde… Je te préviens que nous sommes forts, et tu sais bien que tu es faible… Ce que tu appelles ton malheur peut se changer aujourd’hui même en bonheur… Que te faut-il pour épouser Gertraud ? une dot : tu l’auras…

Jean serra sa main contre son front brûlant.

— Gertraud, si douce, si jolie, et qui te ferait si heureux !… dit Johann.

— Laissez-moi !… laissez-moi !… murmura Jean.

— Que te faut-il pour sauver ton aïeule ? reprit le marchand de vins ; un peu d’argent ? Tu en auras beaucoup.

Jean perdait le souffle.

— Ta pauvre vieille grand’mère ! poursuivit Johann, si bonne et si malheureuse !… je la voyais l’autre jour passer dans la rue… Comme elle tremble en marchant ! comme sa tête grise se penche ! comme ses yeux sont creusés par les larmes !… Ah ! tout le monde le dit : cette prison l’achèvera !…

Deux pleurs brûlants roulèrent sur la joue livide du joueur d’orgue.