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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/353

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prirent à remuer sans produire aucun son. Esther et Sara, qui le soutenaient, sentirent son bras maigre trembler convulsivement sous l’étoffe ouatée de sa douillette. Le mot prononcé par l’ermite était tout simplement le nom de ce vieil usurier du Temple qui prêtait des sous à la petite semaine dans un trou de la Rotonde. L’ermite avait dit tout bas, en se penchant à l’oreille du chef opulent de la famille de Geldberg :

— Araby !…

Ces trois syllabes, murmurées doucement, avaient frappé le vieillard comme un coup de massue.

— Monsieur ! Monsieur ! s’écrièrent à la fois Esther et Sara, qu’avez-vous donc dit à notre père ?

L’ermite les regarda tour à tour, et s’inclina par deux fois avec une courtoisie grave.

— Belle dame, répliqua-t-il tout bas en s’adressant à la comtesse, et de manière à être entendu d’elle seulement, je disais que fiançailles ne sont pas toujours mariage…

Et avant qu’Esther, troublée, pût répondre, il poursuivit en s’adressant à Sara, et en baissant la voix davantage encore :

— Et je disais aussi, belle dame, qu’il faut bien des coups parfois pour tuer un homme !… Vous avez choisi un poison sûr, mais que l’attente est longue, n’est-ce pas ? et que cette tombe ouverte met de temps à se refermer !…

Le groupe formé par la famille de Geldberg était en ce moment le point de mire de tous les regards. Chacun put remarquer le trouble subit et profond du vieux Moïse et de ses deux filles ; Esther et Sara avaient baissé la tête sans répondre. Le vieillard jetait tout autour de lui ses regards craintifs et stupéfaits. On se demandait à la ronde : Qui donc est cet ermite, et qu’a-t-il pu dire pour mettre en si fâcheux état le bon monsieur de Geldberg ? L’ermite devenait un personnage ; on le contemplait avec une curiosité croissante. Mira, Reinhold et Van-Praët éprouvaient à observer cette scène une vague frayeur. Le Madgyar seul ne prenait pas garde. Il se tenait debout en avant du groupe, portant son belliqueux costume hongrois, qu’il avait fait seulement plus riche pour la circonstance. Le masque ne dissimulait pas entièrement la sombre expression de son visage.