— Calomnie !… balbutia la vicomtesse.
— Oh ! vous ne dites plus cela du fond du cœur, comtesse Hélène !… vous avez peur de croire ; mais il faudra bien vous rendre à l’évidence !… Tenez ! sans sortir de cette salle, je puis vous montrer les acteurs principaux de tous ces drames sanglants.
» Vous voyez bien cet homme, dont la tête hautaine dépasse celle de ses voisins, son doigt étendu désignait le Madgyar Yanos ; — cet homme, il y a maintenant vingt-deux ans, a mis son sabre dans le cœur du comte Ulrich, votre père… »
La vicomtesse tremblait et perdait le souffle. — Elle cherchait à se dégager de cette étreinte morale qui la tenait esclave ; — mais l’Homme Rouge mettait toujours sa grande taille entre elle et la foule.
— Vous aimiez bien votre sœur Margarethe, autrefois, reprit-il, comtesse Hélène !… regardez ce vieillard, il montrait le docteur José Mira ; c’était jadis le médecin de Bluthaupt… la pauvre Margarethe se couchait, pâle et brisée par les douleurs de l’enfantement… vous vous souvenez comme elle était bonne et belle ! ce vieillard avait pour mission de la secourir : il l’empoisonna !
Les jambes de la vicomtesse fléchirent.
— Oh ! c’est affreux ! murmura-t-elle, laissez-moi ! laissez-moi !…
Sa plainte s’étouffa parmi les gerbes de notes joyeuses qui jaillissaient de l’orchestre.
— Je n’ai pas fini encore, reprit l’Homme Rouge en étendant la main vers le chevalier de Reinhold ! celui-ci est le dernier… celui-ci est le fiancé choisi par vous pour votre fille, madame… et l’on vous a dit pourtant plus d’une fois déjà que le vicomte Raymond d’Audemer, votre mari, était tombé sous ses coups !
La vicomtesse, dont les jambes chancelaient, fut obligée de s’appuyer à un siège.
— Comment ajouter foi à ce mensonge ? balbutia-t-elle.
— En voyant le témoin du crime, madame… en écoutant le récit d’un homme qui s’agenouilla, demi-mort, au bord du précipice, et qui dit le premier de profundis pour le salut de l’âme de Raymond d’Audemer.