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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/387

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un rêve ? toutes ces choses étranges n’existaient-elles que dans le délire de sa fièvre !… Comme elle s’interrogeait elle-même, une troisième figure surgit à la lumière, semblable encore aux deux autres. C’étaient les mêmes traits, beaux et fiers, les mêmes tailles enveloppées dans des manteaux pareils. Ils étaient là trois hommes avec une seule forme, trois reproductions identiques du même être, trois types sortis du même moule, et l’illusion était si forte, que Lia ne savait pas lequel des trois était son amant !… Elle pressait son front à deux mains ; elle appelait à son aide son intelligence ébranlée ; elle se croyait folle ! L’ombre d’un pilier s’étendait sur elle, les trois hommes ne la voyaient point. Les deux derniers venus se baissèrent et prirent, sous la tombe des fils du comte Noir, des pioches et une pelle. Celui qui était arrivé le premier souleva la lampe et ils gagnèrent un espace vide, marqué au milieu du souterrain par une petite croix de bois. Lia se colla, tremblante, à la pierre froide du pilier. L’homme qui tenait la lampe la déposa sur le sol ; il prit à son tour une pioche, et tous trois se mirent à creuser la terre. Ils travaillèrent longtemps en silence. Cinq fosses furent ouvertes, l’une à côté de l’autre. Et chaque fois qu’une fosse était creusée, une voix s’élevait qui disait :

— Celle-ci est pour Fabricius Van-Praët.

— Celle-ci pour le docteur José Mira.

— Celle-ci pour le chevalier de Reinhold.

— Celle-ci pour le Madgyar Yanos Georgyi…

Quand ce fut au tour de la dernière, la voix dit :

— Celle-ci est pour le vieux Moïse de Geldberg.

Au nom de son père, Lia se laissa choir sur ses genoux. Les trois hommes s’appuyèrent sur leurs pioches et demeurèrent un instant immobiles.

— Voilà plus de vingt ans, mes frères, dit celui qui était arrivé le premier, d’une voix triste et grave, que nous avons creusé une autre fosse au même lieu… nous étions jeunes alors et notre sœur vivait !… Durant ces longues années, avez-vous songé parfois à dire une prière pour le repos de l’âme du malheureux baron de Rodach ?

— Il avait voulu déshonorer notre sœur ! répondirent les deux frères d’un air sombre.