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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/393

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désert. En somme, il y avait une certaine émotion parmi les convives. On voyait partout des joues enluminées et des poitrines carrément élargies.

En quittant le salon, les jambes de M. le comte de Mirelune éprouvaient de légères et agréables oscillations. Quant à Ficelle, il était gris, ma foi, mais gris comme un homme qui s’occupe sérieusement de couplets. Il enfilait l’un à l’autre tous les calembours consignés dans ses vaudevilles, et les glissait à l’oreille de son Mécène féminin, la grosse épouse du notable commerçant de la rue Laffite. Au commencement du repas, on eût pu remarquer chez les membres de la maison de Geldberg une sorte de préoccupation affairée, mais ils avaient réussi à prendre le dessus. Madame de Laurens n’avait jamais été si charmante ; M. le chevalier de Reinhold ne s’était jamais montré plus joyeux. Il n’y avait qu’Esther qui gardait sur son front comme un voile de tristesse. Julien ne s’était point placé, à table, auprès d’elle. La belle comtesse cherchait incessamment les regards de son fiancé, qui semblaient la fuir. Julien s’asseyait à côté de sa mère ; celle-ci tenait rigueur au chevalier de Reinhold, et se renfermait dans un silence pensif. C’étaient là de légères taches sur un fond brillant ; personne ne les remarquait et la joie générale n’en était point altérée. Une demi-heure après le dîner, la foule des convives descendait les escaliers du château, se dirigeant vers la cour principale, où l’on entendait un grand bruit. C’étaient les cris de piqueurs et de palfreniers, des notes perdues, données par la trompe qu’on essayait ; des aboiements de chiens et le trépignement des Chevaux, dont le pied impatient frappait le sol. Le jeune M. Abel de Geldberg était én selle, au seuil de la cour. Cette soirée devait être mémorable dans sa vie. En sa qualité de sportsman très-méritant, il était le directeur et le chef de cette partie de la fête. Au moment où les premières dames mettaient le pied dans la cour, il fit un signe et emboucha sa trompe. Une joyeuse fanfare éclata, sonnée par tous les veneurs à la fois. Il y avait dans la cour une meute très-nombreuse, et les équipages de chasse étaient entendus suivant le système allemand. Les dames, qui pouvaient se donner le titre d’écuyères, sautèrent sur de fringants chevaux, capables de suivre la chasse ; les autres, quoique revêtues de l’uniforme d’amazone, s’assirent sur des palefrois débonnaires ou même sur les prudents coussins de leur voiture. La grille fut ouverte