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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/448

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plus d’objet politique, continua d’exister et d’agir dans l’ombre. C’est le propre de ces assemblées secrètes, de survivre, pour ainsi dire, à elles-mêmes ; la franc-maçonnerie, qui est morte, vivra plus longtemps que nous. Les frères-bretons refusèrent d’abord l’impôt les armes à la main, puis ils cédèrent à leur tour, mais tout en cédant ils protestèrent. Vingt ans après l’époque où se passèrent les événements que nous allons raconter, et qui forment le prologue de notre récit, nous retrouverons leurs traces. Le mystère est dans la nature de l’homme. Les assemblées secrètes ne meurent que de vieillesse, et Dieu sait ce que leur vieillesse dure !

En 1719, presque tous les gentilshommes s’étaient retirés de l’association, mais elle subsistait, vivace, indestructible, parmi le bas peuple des villes et des campagnes. Ce qui restait de frères nobles était l’objet d’un véritable culte. Les châteaux où se retranchaient ces partisans obstinés de l’indépendance devenaient des centres autour desquels se groupaient les mécontents. Ils étaient peut-être Impuissants déjà pour agir sur une grande échelle, mais leur opposition (qu’on nous passe l’anachronisme), se faisait en toute sécurité. Il eût fallu, pour les réduire, mettre le pays à feu et à sang.

D’après ce que nous avons dit de la forêt de Rennes, on doit penser qu’elle était un des plus actifs foyers de la résistance. Sa population, entièrement composée de gens ignorants et endurcis aux plus rudes travaux, était dans des conditions singulièrement favorables à cette opposition, dont le fond est un refus pur et simple, accompagné et soutenu par la force d’inertie, assez nombreux et unis pour combattre, si nulle autre ressource ne pouvait être employée, les gens de la forêt attendaient, confiants dans les retraites inaccessibles qu’offrait à chaque pas le pays, confiants surtout dans la connaissance parfaite qu’ils avaient de leur forêt, cet immense labyrinthe dont les taillis touchaient à la fois la campagne de Rennes et les faubourgs de Fougères et de Vitré. Le premier coup de mousquet tiré sous le couvert devait armer la plèbe déguenillée des basses rues de Rennes, les historiques bourgeois de Vitré, qui portaient encore brassards, hauberts et salades, comme des hommes d’armes du XVe siècle, et les habiles braconniers de Fougères. Avec tout cela, il était raisonnable d’espérer que les sergents de M. de Pontchartrain pourraient ne point avoir beau jeu.

Il y avait au monde un homme qu’ils respectaient tant, que si cet homme leur eût dit : « Payez l’impôt au roi de France, » ils auraient obéi. Mais cet homme n’avait garde. Il était justement l’un des plus obstinés débris de l’association bretonne, et sa voix retentissait encore de temps à autre dans la salle des États, pour protester contre l’envahissement de la maison de Bourbon.

Il avait nom Nicolas Treml de la Tremlays, seigneur de Bouëxis-en-Forêt, et possédait à une demi-lieue du bourg de Liffré un domaine qui le faisait suzerain de presque tout le pays. Son château de la Tremlays était l’un des plus beaux qui fût dans la Haute-Bretagne. Son manoir de Bouëxis n’était guère moins magnifique. Il fallait deux heures pour se rendre de l’un à l’autre, et durant tout le chemin on marchait sur la terre de Nicolas Treml. C’était un vieillard de grande taille et d’austère physionomie. Ses longs cheveux blancs tombaient en mèches éparses sur le drap grossier de son pourpoint, coupé à