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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/451

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contrait ce personnage étrange, car il arrêta son cheval sans manifester la moindre surprise, et siffla comme on fait pour appeler un chien.

Le chant cessa aussitôt, et la créature perchée au sommet du châtaignier, dégringolant de branche en branche, tomba aux pieds du vieux seigneur en poussant un grognement amical et respectueux.

C’était bien un homme, et pourtant il était plus extraordinaire encore de près que de loin. Ses jambes nues, couvertes de poils incolores, supportaient gauchement un torse difforme et de beaucoup trop court. Son cou, osseux et planté en biseau sur sa creuse poitrine, était surmonté d’une face anguleuse, aux os de laquelle se collait une peau blanchâtre et semée de duvet. Ses cheveux, ses sourcils, sa barbe naissante, tout était blanc, et c’était merveille de voir reluire son œil sanglant au milieu de ce laiteux entourage. Aucun signe certain, dans toute sa personne, ne pouvait servir à préciser son âge. Peut-être était-ce un enfant, peut-être un vieillard. L’extrême agilité qu’il venait de déployer éloignait également néanmoins ces deux suppositions. La jeunesse seule pouvait avoir caché tant de vigoureuse souplesse sous cette enveloppe chétive et misérable.

Il se releva d’un bond et vint se planter au milieu du chemin, devant la tête du cheval.

— Comment va ton père, Jean Blanc ? demanda M. de la Tremlays.

— Comment va ton fils, Nicolas Treml ? répondit l’albinos en exécutant une cabriole.

Un nuage couvrit le front du vieillard. Cette brusque question correspondait mystérieusement au sujet récent de son inquiète rêverie.

— Tu deviens insolent, mon garçon, grommela-t-il. Je suis trop bon envers vous autres vilains, et cela vous donne de l’audace fais-moi place, et que je ne t’y prenne plus !

Au lieu d’obéir à cet ordre, prononcé d’un ton sévère, Jean Blanc saisit la bride du cheval, et se prit à sourire tranquillement.

Tu te trompes, mon seigneur, dit-il d’une voix douce et mélancolique. Ce n’est pas avec nous, pauvres gens, que tu es trop bon, c’est avec d’autres que tu aimes et qui te détestent.

— Paix ! fou que tu es ! voulut interrompre Nicolas Treml.

L’albinos ne lâcha pas la bride et continua :

— Le père de Jean Blanc va bien. Jean Blanc veillait hier auprès de lui ; auprès de lui il veillera demain… Hier tu veillais sur Georges Treml ; veilleras-tu sur lui demain, mon seigneur ?

— Que veux-tu dire ?

— C’est une belle chanson que la chanson d’Arthur de Bretagne… Écoute : je sais ramper sous le couvert tout aussi bien que grimper au faîte des châtaigniers. Je t’ai suivi longtemps dans la forêt ; tu causais avec ta conscience, j’ai compris, et j’ai chanté la chanson d’Arthur.

— Quoi ! s’écria M. de la Tremlays, tu m’as entendu ?… tu sais tout ?…

— Non, pas tout… tu as dit trop de folies pour que j’aie pu tout comprendre… Mais, crois-moi, ne laisse pas notre petit M. Georges à la merci d’un cousin.