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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/46

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voyait ses habits déchirés dans l’orgie de la veille et dans son passage récent à travers la cohue ; elle voyait ses cheveux mêlés, son œil cave et hagard, sa joue, rendue, par une seule nuit, hâve comme la joue d’un malade qu’une longue fièvre enchaîne entre ses draps.

— Par pitié, dit-elle, parlez-moi… je veux tout savoir !

Il y avait de la contrainte parmi les désordres de Jean, et ses yeux semblaient éviter le regard de Gertraud.

— Je suis venu vous dire, Mademoiselle, murmura-t-il avec effort, que si je ne vous rends pas les habits en bon état…

— Il ne s’agit pas de cela, interrompit la jeune fille, les larmes aux yeux, il s’agit de vous !

— De moi ? répliqua Jean, dont l’accent prit une nuance d’amertume.

Il s’arrêta et poursuivit presque aussitôt après en secouant la tête avec lenteur.

— Oh ! moi, mamzelle Gertraud, pourquoi vous ennuierais-je de ce qui me regarde ? hier au soir…

— Est-ce pour cela que vous m’en voulez, Jean ? Si vous saviez comme j’ai souffert depuis ce matin !

— Je ne vous en veux pas, dit le joueur d’orgue froidement ; ce que vous avez fait, vous aviez droit de le faire… On dit que le moindre souffle emporte les promesses des femmes… Vous êtes riche et je suis pauvre, Mademoiselle… J’étais un fou et je devais être puni rien que pour avoir espéré !

Les larmes qui perlaient dans les yeux de Gertraud roulèrent à grosses gouttes sur sa joue.

— Est-ce que vous ne m’aimez plus, Jean ? dit-elle.

Le malheur rend cruel. Jean répondit, en détournant la tête :

— Je crois que je ne vous aime plus.

Un sanglot souleva la poitrine de Gertraud. Jean avait le cœur brisé, mais il n’ajouta pas une parole.

Il éprouvait comme une barbare jouissance à voir souffrir.

Une voix s’élevait en lui, qui proclamait l’innocence de Gertraud et qui le poussait à demander une explication ; mais il se roidissait, il se complaisait en quelque sorte dans la torture partagée.