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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/473

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Mayenne qui donna son nom au plus gros des Guises ; Alençon, qui fut l’apanage de plusieurs fils de France. Dans chacune de ces villes ils s’arrêtaient le temps de faire reposer leurs chevaux. Puis ils reparlaient en hâte.

— Où allons-nous ? se demandait Jude Leker.

Mais il ne faisait point cette question tout haut. S’il plaisait à Nicolas Treml de taire le but de ce voyage, ce n’était point à lui, Jude, qu’il appartenait de surprendre ce secret.

Son incertitude ne devait pas durer longtemps désormais. Ils traversèrent Mortagne, puis Verneuil, puis Dreux, et, le matin du sixième jour, ils franchirent la grille dorée du parc de Versailles.

Versailles était abandonné déjà, mais ses blancs perrons de marbre avaient encore le brillant éclat des jours de sa gloire. Statues, colonnades, urnes antiques et riches frontons gardaient leur splendeur du dernier règne. Il y avait si peu de temps que durait le veuvage de Ut cité royale ! Le sable des allées ne conservait-il pas les traces des mules de satin et des hauts talons vermillonnés comme les joues d’une coquette ? N’y avait-il pas encore des fleurs dans les vases, des chiffres amoureux sur l’écorce des arbres, des jets de cristal dans la bouche souriante des Naïades de bronze ? Hélas ! le veuvage a continué trop longtemps ; les fleurs se sont flétries ; bronzes et marbres ont pris l’austère beauté des œuvres d’un autre âge ; il n’y a plus ni chants, ni joies, ni ondoyants panaches de courtisans, ni petits souliers de duchesses. C’est au passé qu’il faut dire avec le poète :

Oh ! que Versailles était superbe
Dans ces jours purs de tout affront
Où les prospérités en gerbe
S’épanouissaient sur son front !
Là tout faste était sans mesure,
Là chaque arbre avait sa parure.
Là chaque homme avait sa dorure ;
Tout du maître suivait la loi ;
Comme au même but vont cent routes.
Là les grandeurs abondaient toutes :
L’Olympe ne pendait aux voûtes
Que pour compléter le grand roi.

Nicolas Treml et son écuyer n’étaient point gens, il faut le dire, à s’occuper beauconp de sculptures ou de jets d’eau. Ils jetèrent chemin faisant un regard distrait sur tous ces dieux du paganisme qui souriaient, jouaient de la flute ou dansaient couronnés de raisins, puis ils passèrent.

Après avoir marché quelques heures encore, ils trouvèrent la Seine.

— Paris est-il encore bien loin ? demanda Nicolas Treml à un bourgeois qui, monté sur son bidet, tenait le bas de la chaussée.

Le bourgeois se retourna et tendit son bras vers l’est. M. de la Tremlays, suivant ce geste, aperçut à l’horizon un point lumineux. C’était l’or du dôme des Invalides qui lui renvoyait les rayons du soleil levant.

— Courage, dit-il à Jude, voici le terme de notre pèlerinage.

Jude répondit :

— C’est bien.