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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/497

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sourire insoucieux et spirituel ; dans ses yeux une hardiesse indomptable, une gaîté franche et comme un reflet de cordiale loyauté. On eût trouvé difficilement une taille plus élégante que la sienne, une pose plus gaillarde sur son cheval Isabelle, et une plus élégante façon de porter son belliqueux uniforme. Il avait de vingt-cinq à vingt-sept ans.

Le valet s’appelait Jude Leker ; le maître avait nom Didier tout court.

Le bon écuyer de Nicolas Treml n’avait point changé beaucoup durant ces vingt années. La souffrance avait glissé sur son cœur comme le temps sur la dure peau de son visage. Il se tenait encore ferme sur son cheval, et il n’eût point fait bon de recevoir un coup de la rapière plus moderne qui avait remplacé sa longue épée à garde de fer.

Il pouvait être deux heures après midi lorsque Didier et Jude dépassèrent les premiers arbres de la forêt. Le pâle soleil d’automne se jouait dans le feuillage jaunissant, et le sabot des chevaux s’enfonçait à chaque pas dans la molle litière que novembre étend au pied des arbres. Jude semblait respirer avec délices une atmosphère connue ; il saluait chaque vieux tronc d’un regard ami et presque filial. Il y avait vingt ans que Jude n’avait vu la forêt de Rennes.

Tout en marchant, le maître et le serviteur poursuivaient une conversation commencée.

— C’était, ma foi, un vaillant vieillard, que ce Nicolas Treml ! s’écria Didier, interrompant un long récit que lui faisait Jude ; — j’aime son gant de buffle qui pesait une livre, et j’aurais voulu voir la pauvre mine que dut faire M. le régent.

— Le régent nous mit à la Bastille, répondit Jude avec un soupir.

— C’était en conscience le moins qu’il pût faire, mon garçon.

— Nicolas Treml, — que Dieu sauve son âme ! — était déjà bien vieux. Et puis il pensait sans cesse à l’enfant…

— Quel enfant ? interrompit encore Didier.

— Georges Treml, qui doit être, à l’heure qu’il est, un hardi soldat, s’il a gardé dans ses veines une goutte du bon sang de ses pères.

L’histoire languissait. Didier bâilla. Jude poursuivit :

— Il pensait donc à l’enfant qui était au pays sans protecteur et sans appui. Vieillesse et chagrin, c’est trop à la fois, mon jeune monsieur : Nicolas Treml descendit en terre et me légua le petit Georges… Il y a trois ans de cela.

— Et qu’est devenu ce Georges ?

— Dieu le suit… Moi, je fus mis en liberté deux ans après la mort de mon maître. Je n’avais point d’argent, et si la Providence ne m’eût pas envoyé sur votre chemin au moment où vous cherchiez un valet pour le Voyage, je ne sais comment j’aurais regagné la Bretagne… Ma chère, ma noble Bretagne ! répéta Jude avec des larmes de joie dans les yeux.

Didier s’arrêta et lui tendit la main.

— Tu es un honnête cœur, mon garçon, dit-il ; — je t’aime pour ton attachement au souvenir de ton vieux maître, et pour l’amour que tu as gardé à ton pays. Si tu veux tu ne me quitteras plus.

Jude toucha respectueusement la main que lui offrait le capitaine.

— Je le voudrais, murmura-t-il en secouant la tête, sur ma parole je le