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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/532

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monsieur de Vaunoy, si je sais le nom de leur retraite… Grâce à des circonstances que je ne juge point à propos de vous détailler ici, je connais la forêt de Rennes comme si j’y étais né.

À ce dernier mot, Hervé de Vaunoy tressaillit violemment et devint si pale que Béchameil crut devoir le soutenir dans ses bras.

— Qu’avez-vous, monsieur mon ami ? demanda l’intendant ? — Rien… je n’ai rien, balbutia Vaunoy. — Si fait ! je parie que c’est le besoin de prendre quelque chose qui vous travaille… et, par le fait, l’heure du déjeuner est passée depuis trente-cinq minutes et une fraction.

Vaunoy, par un brusque effort, s’était remis tant bien que mal. Il repoussa Béchameil.

— Capitaine, dit-il, je vous prie de m’excuser… Un éblouissement subit… je suis sujet à cette infirmité… vous plairait-il de poursuivre ?

— Dans votre intérêt, monsieur mon ami, insista héroïquement Béchameil, je vous engage à prendre quelque chose… Nous vous ferons raison, le capitaine et moi…

Vaunoy fit un geste d’impatience, et Béchameil reconnut avec une profonde douleur que le déjeuner était désormais indéfiniment retardé.

— Je vous disais, reprit Didier, qui n’avait prêté à cette scène qu’une attention médiocre je vous disais que la forêt est pour moi pays de connaissance ; je sais que la position des Loups est inexpugnable, et ne prétends point courir les chances d’une attaque… au moins tant que les deniers de Sa Majesté ne seront point à couvert. Il me faut à moi aussi des positions dans la forêt, et je vous demande, à vous, monsieur de Vaunoy, votre château de la Tremlays, à vous, monsieur l’intendant royal, votre maison de plaisance de la Cour-Rose…

— Ma folie ! s’écria Béchameil ; et qu’en prétendez-vous faire, monsieur.

— Je ne sais… peut-être une place d’armes.

— Mais il y a des tapis dans toutes les chambres, monsieur ; il y en a pour vingt mille écus. — Fi ! monsieur de Béchameil, fi ! voulut interrompre Vaunoy.

Mais cette fois le financier se montra rétif.

— Il y a continua-t-il, des meubles sculptés, incrustés, dorés… Il y en a pour trente mille écus, monsieur.

— Fi ! monsieur de Béchameil, fi ! répéta Vaunoy.

— Il y a des porcelaines du Japon, de la faïence d’Italie, des grès de Suisse, des cristaux de Suède… La batterie de cuisine seule vaut quatorze mille cinq cents livres, monsieur… Et vous voulez mettre tout cela au pillage ! vos soldats dévaliseraient mon garde-manger ; ils boiraient ma cave… ma cave… ma cave qui est la plus riche de France et de Navarre… Ils fouleraient aux pieds mes tapis, briseraient mes cristaux… que sais-je !… une place d’armes !… Morbleu monsieur, pensez-vous que j’aie fait bâtir ma folie pour héberger vos soudards ?

— Fi ! monsieur de Béchameil, répéta Vaunoy pour la troisième fois ; — saint-Dieu ! fi ! vous dis-je.

Le financier s’arrêta enfin essoufflé. Didier, comme s’il eût regardé l’interruption comme non avenue, reprit avec le plus grand calme :

— Peut-être une place d’armes… En tout cas, je puis vous faire promesse,