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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/590

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XXIX
AVANT LA LUTTE.


Le lendemain, le convoi des deniers de l’impôt partit de Rennes dans la matinée. Il était escorté par la maréchaussée, à la tête de laquelle chevauchait le capitaine Didier, et par une compagnie de sergents à pied.

Le trajet de Rennes à la Tremlays se fit sans encombre aucun. Tandis que les lourdes charrettes, chargées d’écus de six livres, s’embourbaient dans les fondrières de la forêt, l’attaque aurait été bien facile ; mais nulle figure hostile ou suspecte ne se montra sur la route, et c’est à peine si Jude, qui suivait le capitaine, put conjecturer deux ou trois fois au mouvement des branches qu’il y avait un être vivant, homme ou gibier, caché sous le couvert.

Les Loups dormaient ou ne se souciaient pas d’affronter les bons mousquets de la maréchaussée, — à moins qu’ils n’eussent encore un autre motif de ne point se montrer.

On marchait bien lentement, et le soleil se couchait au moment où le convoi atteignit les premiers arbres de l’avenue de la Tremlays.

— Monsieur, dit Jude en se penchant à l’oreille du capitaine, — il ne fait point bon pour moi au château. Ce que je cherche n’y est pas, et j’y pourrais trouver en revanche ce que je n’ai garde de chercher.

— Fi ! mon brave garçon, répondit le capitaine avec un sourire, tu ne rêves plus qu’assassinat depuis hier… Certes, si tout ce que tu m’as raconté de ce Vaunoy est vrai, c’est un scélérat infâme et sans vergogne, mais je ne puis croire… et, après tout, qui te dit que ce charbonnier n’ait point menti ?

— Pelo Rouan ?… Il ne mentait pas, monsieur, car sa voix tremblait et je sentais la sueur de son front tomber sur ma main… Oh ! il ne mentait pas !… Et dame Goton ?… et l’absence de notre petit monsieur ?…

— Tu as peut-être raison, dit le capitaine ; — en tout cas, tu es libre, mon garçon, et si tu as quelque ami dans la forêt, je te permets de lui demander l’hospitalité… Demain, tu nous rejoindras à Vitré.

— À demain donc ! répondit Jude.

Sur le point de s’éloigner, il s’approcha davantage et ajouta à voix basse :

— N’oubliez pas ce qui vous regarde, mon jeune monsieur. Ce Pelo Rouan a parlé de vengeance, et il a l’air d’un terrible homme !

Didier sourit encore et fit un geste d’insoucieuse bravade.

— À demain, mon brave garçon ! dit-il au lieu de répondre.

Jude prit un sentier de traverse et perdit bientôt de vue le convoi. Le soleil