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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/618

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— Veiller sur moi ! répéta Didier.

— Comme on veille au chevet de ceux qu’on aime, s’empressa d’ajouter Marie ; — comme une mère veille auprès de son enfant. Mais, viens donc !

Elle entraîna Didier qui, vaincu par son engourdissement morbide, n’avait plus ni volonté ni force. Tous deux se mirent en selle et le cheval galopa dans la direction du carrefour de Mi-Forêt. À une centaine de pas de la loge, Marie mit pied à terre.

— Reste là, dit-elle à voix basse ; il ne faut pas que mon père te voie.

Elle s’avança doucement vers la loge. Sa porte était ouverte.

— Mon père ! dit Fleur-des-Genêts, en allongeant sa jolie tête à l’intérieur.

Personne ne répondit.

— Il n’est pas là ! pensa la jeune fille avec joie. — Dieu soit loué ! Didier aura un abri.

Elle s’élança à la rencontre du capitaine, qu’elle prit par la main. Tous deux gagnèrent la loge.

— Chut ! murmura Marie ; — marche doucement.

Ils franchirent la sombre salle basse où nous avons assisté à l’entrevue de Jude et de Pelo Rouan, puis Marie ouvrit lu porte de sa chambre et poussa Didier à l’intérieur.

— Maintenant, dit-elle en fermant la porte en dedans, nous sommes en sûreté !… Tu es sous ma garde et jamais mon père ne vient ici.

Fleur-des-Genêts n’avait pas aperçu, en traversant la loge, deux yeux rouges et flamboyants briller derrière le tas de paille qui servait de couche à Pelo Rouan. Tandis qu’elle passait, ces yeux rayonnèrent un plus sanglant éclat. Quand elle fut passée, ils changèrent brusquement de positron et s’élevèrent de plusieurs pieds. C’est que Pelo Rouan, qui était étendu sur la paille, venait de se dresser sur ses genoux.

— Je remercie Dieu, murmura-t-il avec haine, de m’avoir donné des prunelles de bête fauve, des yeux qui voient dans la nuit… Je l’ai bien reconnu, le Français maudit !… Il est là !… Marie ! pauvre fille !

Ces derniers mots furent prononcés d’un (on de tendresse profonde et de paternelle pitié, — ce qui n’empêcha point Pelo Rouan de décrocher le vieux mousquet suspendu au mur et d’y couler deux balles sur une copieuse charge de poudre.

Cela fait, il visita soigneusement la batterie, sortit au dehors, et grimpa sans bruit aucun et presque sans efforts apparents le long du tronc droit et fisse d’un bouleau planté devant la fenêtre de Marie et dont les branches passaient par-dessus la loge.

Il s’assit sur l’une des branches, de telle façon que, caché par le tronc, il pouvait plonger son regard dans l’intérieur de la chambre de Marie.

En ce moment la fenêtre était fermée. Pelo Rouan attendait immobile.

Une demi-heure après, le ciel à l’orient prit une teinte rosée ; les ténèbres s’éclaircirent peu à peu et les oiseaux se prirent à chanter leur joyeuse chanson dans le feuillage.