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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/63

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reux agent de change, brisé par la jalousie, venait rallumer sans cesse sa passion épuisée, et prendre la force de porter encore à ses lèvres la coupe toujours pleine de poison…

Petite resta durant quelques minutes dans ce calme sommeil où nous l’avons surprise ; puis son rêve changea et devint plus conforme à la réalité de sa nature. Sa joue pâle se couvrit de rougeur ; son souffle s’embarrassa et sortit chaud de ses lèvres rapprochées ; ses narines se gonflèrent et tout son corps frémit doucement sous les couvertures.

Elle se retourna, renversant sa belle tête parmi les masses de ses cheveux ; ses deux bras sortirent du lit et s’arrondirent contre son sein palpitant.

La passion était maintenant sur son visage ; ses lèvres pâlissaient, et des plaintes où perçaient le nom de Franz tombaient de sa bouche.

Elle était belle ainsi, plus belle peut-être que sous le masque trompeur, attaché naguère par la main du hasard.

La glace reflétait les lignes admirables de ses traits et ses formes trahies par la couverture agitée.

Quelques minutes encore s’écoulèrent ; puis son visage se transforma de nouveau.

La pâleur couvrit de nouveau sa joue ; ses sourcils, froncés violemment, se rapprochèrent ; des rides vinrent autour de sa bouche, dont les lèvres se serrèrent convulsivement.

Elle se retourna tout à fait, par une sorte de soubresaut vif et brusque. On ne la vit plus que dans la glace, où sa figure apparut décomposée tout à coup par la colère.

Il y avait un monde entre son sourire calme et pur et son voluptueux sourire, un monde encore entre son voluptueux sourire et l’expression de férocité soudaine qui ridait sa face maintenant, sans pouvoir lui enlever sa beauté. Ses mains s’agitaient au hasard ; ses doigts se refermaient sur la fine toile des draps qui restaient, après l’étreinte, froissés et comme tordus.

On eût dit qu’elle cherchait une arme…

Et c’est miracle qu’une même physionomie puisse exprimer tant de douceur sereine et tant de cruauté implacable !