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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/666

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— À bas, Lion ! à bas ! dit Jean Tual, vous bavardez comme un chien de garde.

Bleuette avait cessé de battre son linge et regardait le nouvel arrivant avec un étonnement mêlé d’incertitude.

Ses grands yeux noirs naïfs et brillants hésitaient à sourire.

Bleuette battit des mains en poussant un cri de joie.

— C’est bien lui ! dit-elle, mon père, c’est M. Martel qui revient général !

Le gruyer leva les yeux, considéra un instant le jeune garde-française à qui Bleuette, accourue en sautant, donnait déjà sa joue fraîche à baiser.

Il y eut un mouvement d’hésitation sur l’honnête et franche figure du gruyer.

— C’était un bon cœur autrefois, murmura-t-il entre ses dents ; — un bon cœur et un brave enfant !… ça, c’est la vérité !… mais il est le fils de son père tout de même !

Bleuette faisait mille caresses à Martel et l’entraînait vers la maison.

— Mais venez donc, mon père ! s’écria-t-elle, — Martel va croire que vous n’êtes pas content de le revoir !

Le gruyer fit quelques pas au-devant du jeune homme, et lui tendit sa large main basanée.

— Quant à ça, répliqua-t-il, M. Carhoat aurait tort.

Martel serra cordialement la main qu’on lui présentait, et se retourna bien vite vers Bleuette pour lui sourire encore et répondre à ses caresses de sœur.

Jean Tual les regardait par derrière. Il hocha la tête et fronça légèrement le sourcil.

— C’est le fils de son père !… répéta-t-il en se parlant à lui-même, — et il revient de Paris, où il n’y a que des pratiques du diable !… C’était pourtant un brave petit cœur autrefois.

— Comme vous voilà fort, Martel, disait Bleuette, et comme vous voilà beau !

— Tu ne me tutoies donc plus, Bleuette ? interrompit le garde-française.

Jean Tual fit la grimace en aparté.

— Est-ce que nous nous tutoyions autrefois ? repartit la jeune fille en riant. — C’est que vous voilà si brave et si fier, Martel, avec vos galons d’or et votre moustache noire !… je n’oserais plus… tout ce que je puis faire, c’est de vous aimer comme avant votre départ.

Martel tenait entre ses mains les doigts de la jeune fille, frais et rougis par le froid de l’eau.

Il l’attira à lui et mit un baiser sur ses cheveux noirs.

Jean Tual depuis quelques secondes cherchait un moyen pour se mettre en tiers dans cette reconnaissance trop vive à son gré.

Il toussa énergiquement.

— Quant à ce que vous dites de Lion, monsieur Carhoat, dit-il, le chien n’a pas pu vous reconnaître, parce qu’il ne vous avait jamais vu…