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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/681

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Il aime ses frères qu’il croit bons… Il adore son vieux père, dont la rudesse s’adoucit à ses sourires… Il va seul, — seul toujours, par les grands bois, rêvant à des choses qui sont trop belles pour être de ce monde… espérant des bonheurs qu’il ne trouvera qu’au ciel, — et priant Dieu sous les hautes voûtes de la forêt, avec les fleurs parfumées et les oiseaux chanteurs, qui envoient vers le ciel leurs chants et leurs parfums.

— Que Dieu protège le cher enfant ! murmura Martel. — Parlez-moi de ma sœur, Bleuette.

La jeune fille prit une pose résignée. Elle n’espéra plus donner le change à l’idée fixe de Martel.

— C’est bien vrai, poursuivit-elle ; messieurs de Carhoat ne croisèrent point l’épée contre Kérizat… On vit même en ce temps, — plusieurs fois, — le marquis se promener sur la place du Palais avec le séducteur de sa fille… Ce fut au point que chacun espérait voir M. de Kérizat réparer sa faute et donner son nom à Laure. Comment expliquer autrement ces entrevues pacifiques avec le père de sa victime ?…

« Mais des mois s’écoulèrent. — Kérizat partit de Rennes un jour, laissant Laure dans le bel hôtel qu’il lui avait loué dans la rue Saint-Georges, le centre des nobles demeures… Laure ne fut point triste ; on la vit s’entourer de tout ce que Rennes renferme de jeunes seigneurs… Malestroit, Montbourcher, Coëtlogon, Goulaine et Rohan, s’attelèrent à l’envie à son char… Son luxe déborda… Nous pleurions, Lucienne et moi, Martel, ét nous nous disions qu’il fallait que Dieu eût mis un voile de démence sur la belle fierté de son âme !… »

Bleuette s’interrompit. Sa poitrine se soulevait oppressée. Les fraîches couleurs de sa joue rose avaient pâli.

Martel aussi était pâle. Sa prunelle brûlait sous ses cils baissés à demi.

Son corps avait des frémissements de fièvre.

Il souffrait tout ce qu’on peut souffrir, sans tomber écrasé.

Mais il dit avec une tranquillité froide :

— Bleuette, je vous en prie, ne vous arrêtez plus, et que je boive le calice d’un trait…

— Que voulez-vous que je vous apprenne de plus ?… reprit la jeune fille à bout de force elle-même. — Laure était tombée…

Elle fit un effort pour parler, mais le cœur lui manqua.

Martel releva sur elle ses yeux où il y avait un feu sombre.

— Tombée, répéta-t-il d’une voix sourde et haletante. — Vous ne voulez pas me dire jusqu’où… Mais je le sais, je le sais ! On a vu à Rennes ce qui ne s’était jamais vu peut-être dans notre Bretagne… on a vu une fille noble, aiffichée, célébrée, tarifée ! recevoir un surnom d’orgie comme la dernière des courtisanes !… Elle a de merveilleux cheveux blonds, ajouta-t-il, avec un rire amer, — et sa beauté brille comme une pierre précieuse… Ils l’ont appelée Topaze… Par le sang de Dieu ! messieurs, c’est aux chiens et aux chevaux qu’on donne