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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/693

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c’était un homme que ce premier veneur ! Mais pour en revenir à cet Honoré du Fouilloux… Est-ce qu’il descendrait vraiment de l’illustre auteur de la Vénerie ?

— En directe ligne, répondit le chevalier.

M. de Presmes avait déjà perdu les trois quarts de sa froideur. Le sujet abordé par Kérizat était pour lui le plus cher entre tous. Pour en parler à son aise, il eût fait volontiers trêve à un ennemi mortel.

Le chevalier emplit son verre et celui du bonhomme jusqu’au bord.

— Monsieur mon ami, dit-il, je vous propose la santé du colonel d’Yauville, — votre cousin, — qui a le plus grand désir de faire votre connaissance.

— En vérité ! s’écria monsieur de Presmes ; mais volontiers, Kérizat, mais très-volontiers…

Les deux verres se choquèrent, et le vieux capitaine se frotta les mains après avoir remis le sien sur la table.

— Du reste, monsieur mon ami, reprit Kérizat, d’Yauville n’est pas le seul qui m’ait donné le plaisir d’entendre parler de vous. On connaît vos façons de chasser à la cour.

— Ah bah ! fit le bonhomme.

— Pourquoi vous étonner ainsi ? Ne savez-vous pas bien que vous valez pour le moins nos veneurs de Paris ? Avez-vous votre pareil pour détourner le cerf sans jamais le méjuger au pied ni aux fumées ? Sait-on mieux que vous décider du laisser-courre, frapper aux brisées, attaquer, garder ferme la voie ? Qui parle aux chiens comme vous, monsieur mon ami ? Vous sonnez comme monsieur de Dampierre, vous forhuez comme feu Stentor !

Le chevalier s’échauffait. — Il s’interrompit tout à coup pour ajouter froidement :

— Je ne fais que répéter ici, monsieur de Presmes, ce qu’on a dit à chaque laisser-courre des équipages et meutes de Sa Majesté.

Le vieux Presmes était rouge d’orgueil et de plaisir.

C’était une honnête figure de bonhomme, ronde, pleine, fortement colorée, où l’intelligence ne débordait point, mais qui avait de la noblesse et une franchise digne. — Vous rencontreriez encore par la Bretagne de ces vieux gentilshommes dont les cheveux blanchis encadrent un sourire d’enfant, et dont le front sait se relever, superbe, dès qu’il s’agit de l’honneur attaqué…

M. de Presmes était fier de sa science en vénerie presque autant que de ses filles. — Il n’y avait guère de cerfs dans sa varenne de Liffré, mais chaque année, il menait un laisser-courre à Paimpont ou au Pertre, et c’est alors qu’il déployait ses hautes qualités de veneur.

Dans la forêt de Rennes, il attaquait le sanglier et le loup, sans dédaigner de temps à autre la chasse du chevreuil, — qui est comme la poésie fugitive de la vénerie.

M. de Presmes ne crut pouvoir moins faire que d’emplir lui-même cette fois le verre du chevalier.