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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/702

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Quelques mots chuchotes à voix basse firent le tour de la table, et arrivèrent à l’oreille du vieux veneur.

— C’est un agent de la cour ! disait-on. C’est un espion du comte de Saint-Florentin ! un aide envoyé au duc d’Aiguillon ! un suppôt de l’évèque ! un maltôtier ! un porte-sabre qui a son uniforme dans sa valise !

Le baron de Penchou et Corentin Jaunin de la Baguenaudays, qui saisissaient au vol, çà et là, quelques-unes de ces paroles, regardaient le chevalier avec des yeux ébahis, et s’étonnaient sincèrement qu’un homme pût être tant de choses à la fois.

Cet étonnement devra sembler d’autant plus naturel à ceux qui feront réflexion que Penchou et Corentin Jaunin de la Baguenaudays, additionnés ensemble, voire multipliés l’un par l’autre, ne faisaient absolument rien du tout.

M. de Presmes, cependant, avait entendu lui-même ce qui se disait à ses côtés.

Son inquiétude tournait à l’épouvante ; car il tenait à sa charge de capitaine des chasses autant et plus qu’à ses dix manoirs entourés d’innombrables guérets.

Le chevalier, peu de temps après le départ de la comtesse Anne, repoussa son siège à son tour, et se leva.

— Monsieur mon ami, dit-il, ordonnez, je vous prie, à l’un de vos valets, de faire seller mon cheval.

— Quoi ! s’écria le vieux de Presmes, vous voulez partir ?…

— Je veux partir, répéta Kérizat.

— Mais il me semble que vous m’aviez annoncé ?…

— Assurément, assurément, répondit le chevalier, je n’ai pu passer si près de la maison d’un vieux et loyal camarade sans en franchir le seuil… et je comptais…

Kérizat s’interrompit. — Le vieux veneur l’interrogeait d’un regard crédule et soumis.

— Vous me comprenez, reprit Kérizat ; après ce qui vient d’avoir lieu…

M. de Presmes frappa ses mains l’une contre l’autre avec une colère désolée.

— Mais je vous proteste !… commença-t-il.

— À la bonne heure ! monsieur mon ami. — Mais un homme ne peut juger qu’avec ses yeux et avec ses oreilles… Tout ce que je puis faire pour vous, c’est d’oublier de mon mieux ce que je viens d’entendre dans votre maison.

Le bonhomme demeurait comme atterré.

— Et c’est une grande preuve de dévoûment que je vous donne, monsieur mon ami, poursuivit Kérizat, qui redoubla d’emphase, — car mon devoir est de me souvenir !… Veuillez ordonner, je vous le demande une seconde fois, que l’on selle sur-le-champ mon cheval.

M. de Presmes garda un instant le silence. Il ne prenait pas la peine de cacher