Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/724

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Il n’y avait personne dans la salle commune, au milieu de laquelle se dressait la vaste table vide, entourée de ses bancs déserts.

Au fond de cette pièce se trouvait une énorme cheminée où fumaient quelques lisons à demi éteints. — Au fond, on voyait deux grands lits, à trois étages chacun ; il n’y avait personne dans ces lits.

À droite, une porte s’ouvrait qui donnait entrée dans une petite pièce où deux grabats étaient placés l’un auprès de l’autre. Le premier de ces grabats était vide. — Dans le second dormait un enfant de quinze ans dont la figure charmante disparaissait presque, inondée par les boucles de ses cheveux blonds — Cet enfant avait sur le visage la pureté d’un ange, mêlée à de précoces tristesses. En ce moment il souriait à ses rêves.

Nous l’avons déjà vu bondir joyeusement hors des taillis à la rencontre de ses frères, les trois fils aînés de Carhoat.

C’était le petit René, — le pauvre enfant qui courait seul par les grands bols suivant de loin le chant de Bleuette et se couchant sur l’herbe en pleurant aux endroits où l’herbe foulée gardait l’empreinte du repos de Bleuette.

L’autre grabat attendait la vieille Noton Renard, servante des Carhoat qui veillait encore et s’agitait autour du foyer presque éteint de la salle commune Noton Renard était une vieille femme ridée, dont l’humidité de la forêt et le brûlant soleil des landes avaient tour à tour noirci et hâlé la peau. Elle était la femme de Francin Renard, ce paysan madré, au chapeau en éteignoir que nous avons vu en compagnie du vieux Carhoat, dans cette anfractuosité du roc de Marlet, où venait de disparaître si tragiquement le pauvre chevalier de Briant.

Noton avait l’air grondeur et maussade comme toutes les vieilles servantes mais, sur son laid visage, où les lignes se brisaient, bizarrement croisées par les rides, on n’eût rien pu découvrir qui dénotât la méchanceté. — Noton était une brave vieille qui grognait volontiers, mais qui ne mordait point. — Peut-être eût-elle mordu si on l’eût empêchée de grogner.

Elle était vêtue d’un déshabillé de toile rouge, sorte de veste plate sur le dos dont la taille, ornée d’un gros chignon, se place beaucoup au-dessus des reins et presque entre les deux épaules. — Sa jupe d’épluche à larges raies vertes noires et blanches, se rattachait par derrière au chignon du déshabillé pour tomber roide et plate, le long de ses hanches. Elle portait pour coiffure la petite catiolle de la forêt en grosse toile à larges ourlets. — Pour chaussure, elle avait des sabots qui contenaient ses pieds d’abord, puis une demi-botte de paille.

Noton Renard venait quelquefois regarder le sommeil de l’enfant, — et quand la bouche de celui-ci s’ouvrait pour murmurer en son rêve, comme un écho affaibli, la complainte de la Fontaine aux Perles, la vieille haussait les épaules en grommelant, et se signait comme si elle eût voulu chasser le diable.

Mais son occupation principale n’était ni dans la chambre de René, ni dans la salle commune.

Elle ouvrait à chaque instant une petite porte située entre les deux lits à trois