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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/734

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— Et moi je vous dis, ajouta Philippe, — que ni vous, Laurent, ni vous, Prégent, vous ne toucherez à un cheveu de la comtesse Anne !

— La paix, enfants, la paix ! disait le vieux Carhoat, que le rire empêchait de se fâcher.

— Elle sera à moi ! reprenait Laurent.

— À moi ! ripostait Prégent.

— À moi ! s’écriait Philippe. — Et les démentis se croisaient.

— Tu mens !

— Tu mens !

— Tu mens !…

— Ça se pourrait bien, grommela Francin Renard par habitude.

Au moment où la dispute s’échauffait et où les mains égarées cherchaient déjà les manches des couteaux de chasse, un joyeux éclat de rire se fit entendre du côté de l’escalier.

Francin Renard, qui en était le plus près, bondit hors de son siège et se réfugia jusque derrière les trois frères en essayant un signe de croix.

Les quatre Carhoat, stupéfaits, tournèrent leurs regards vers l’escalier.

L’éclat de rire continuait.

Enfin les deux bottes molles se mirent en mouvement et descendirent les trois dernières marches.

Un torse apparut, puis des épaules, le tout enveloppé d’un large manteau de couleur sombre.

La figure du nouvel arrivant disparaissait complètement sous un feutre rabattu.

— Pour sûr, c’est le diable ! pensa Francin Renard.

Et il ajouta entre ses dents par forme de confirmation :

— Ça se pourrait bien !

Le vieux Carhoat avait tiré un grand couteau de chasse caché sous sa peau de bique. — Ses trois fils avaient mis également le couteau à la main, et semblaient prêts à s’élancer.

Le nouvel arrivant s’avançait tranquillement dans la chambre.

— Un pas de plus, et vous êtes mort ! dit le vieux Carhoat.

L’étranger s’arrêta docilement.

— Qui êtes-vous ? demanda encore le vieillard, — et que voulez-vous ?

— Je viens pour mettre d’accord ces trois braves jeunes gens, répondis l’étranger d’une voix railleuse. — Ils veulent tous les trois épouser la comtesse Anne, et chacun d’eux a dit aux autres : Vous ne l’aurez point. Vous avez tous raison, mes jeunes maîtres, car le futur mari de la comtesse Anne, c’est moi !

À ces mots, l’étranger ôta son feutre et salua courtoisement.

— Kérizat ! s’écrièrent les quatre Carhoat en apercevant son visage.

— Fort à votre service, mon vieux camarade et mes jeunes maîtres, répondit le chevalier de Briant. — J’arrive de Paris comme vous voyez, tout exprès pour vous empêcher de vous couper la gorge.