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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/747

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attention fut tout de suite éveillée par les voix qui partaient de la chambre voisine.

Il s’approcha doucement de la porte et l’entr’ouvrit. — Il reconnut son père, ses trois frères ; il reconnut Francin Renard qui sommeillait contre la muraille.

Ce spectacle était pour lui d’autant plus extraordinaire, qu’il ne savait pas comment il avait quitté son lit, quel chemin il avait fait et quelle distance le séparait de sa chambre.

Une irrésistible curiosité s’empara de lui. — Il écouta.

Le chevalier prononçait le nom inconnu de monsieur de Talhoët.

René, en ce premier moment, n’avait point entendu les paroles qui accompagnaient ce nom.

Carhoat et ses fils avaient l’air maintenant d’être, sans exception, parfaitement d’accord avec leur hôte. Laurent et Philippe s’étaient remis à boire.

Le chevalier reprit la parole :

— Je vous préviens, dit-il, pour votre gouverne, que Talhoët est un des plus rudes compagnons du pays de Vannes… Il n’ignore pas que le passage de la forêt présente bien quelques petits dangers, et que les loups à deux pattes s’y montrent encore parfois… Il sera armé jusqu’aux dents.

— Si ses armes sont bonnes, reprit Philippe, nous les lui prendrons.

Les yeux de René s’ouvraient, tendus démesurément ; sa joue rose se couvrait de pâleur. Il y avait sur son visage une mortelle épouvante.

— Soyez tranquille, Kérizat, reprit le vieux Carhoat. — Armé ou non, Talhoët aura du fil à retordre si les enfants mettent la main sur lui… le tout est de ne pas le manquer.

— Monsieur le chevalier, dit Laurent avec un reste de rancune, — voudra bien être des nôtres, j’en suis sûr, et faire le bois avec nous…

— Mon jeune monsieur, répondit Kérizat, je n’ai jamais compris qu’on pût rougir d’une pauvreté honorable… Je n’ai donc nulle peine à vous avouer que mon costume actuel est toute ma garde-robe… En cas de fâcheuse rencontre, je serais infailliblement reconnu.

— À cela ne tienne ! dit Philippe, nous vous donnerons un habit pareil aux nôtres, et un masque de loup. — Le chevalier ne crut point devoir hésiter.

— Eh bien ! mes chers compagnons, répliqua-t-il gaiement, — j’accepte la partie avec un vrai plaisir !… Il y a longtemps déjà que je ne me suis livré à ce genre d’espièglerie… Je suis bien aise de rajeunir mes impressions, et de me donner à la fois toutes les joies de la vie de campagne… Voyons, prenons nos mesures. Pour cette fois, M. le marquis, vous mènerez la chasse en personne.

— C’est cela ! dit Carhoat.

— C’est cela ! répétèrent les trois frères complètement remis en belle humeur.

Les verres s’emplirent ; on trinqua cordialement, comme de vieux amis qu’on était, en définitive…

Une lueur d’espérance naïve était dans les yeux bleus du petit René. Ces mots de chasse et cette bonne joie des convives le rassuraient.