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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/751

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— Je fais tout bien, mes jeunes messieurs, répliqua le chevalier ; — mais j’ai répondu d’avance à cette objection en vous offrant de faire tenir mon jeu par votre respectable père… Pardieu ! vous avez mauvaise grâce à faire ainsi les petites bouches… À la cour, ces parties-là sont de mise… J’ai vu jouer des filles de princes comme des danseuses de l’Opéra ; j’ai vu jouer des petites bourgeoises et des duchesses… C’est la mode.

— Nous ne suivons pas la mode, dit Philippe.

— C’est le tort que vous avez, mon jeune maître, répliqua le chevalier. — Si vous portiez un frac comme il faut, au lieu d’un pourpoint de cent ans… je parle pour vous et aussi pour vos frères… vous seriez assurément trois des plus beaux cavaliers que l’on puisse voir.

Les Carhoat n’étaient point gâtés par la louange. Leurs rudes visages s’épanouirent, et Philippe, le plus jeune, rougit de fierté.

— Au fait, murmura-t-il, les dés peuvent nous être favorables…

— Et puis, ajouta Laurent à voix basse, — des dés, on peut en appeler à l’épée.

— Allons, voyons, jouons ! s’écria Prégent.

— Soit ! jouons ! répétèrent les deux autres frères.

Et l’on appela Francin Renard à grands cris.

Le pauvre diable, éveillé en sursaut, se frotta les yeux et s’approcha de la table en chancelant.

— De l’eau-de-vie et des dés ! lui dit le vieux Carhoat, dont les yeux brillaient sous ses sourcils blanchis.

C’était le jeu qui lui avait pris sa fortune.

Francin Renard se hâta vers la porte, et René n’eut que le temps de s’esquiver et de se cacher dans un coin de la première salle.

Francin Renard revint bientôt avec des dés et de l’eau-de-vie.

L’enfant, sans réfléchir et poussé par un irrésistible instinct se remit à son poste d’observation.

Il était à demi nu ; le froid du souterrain lui perçait les os.

Il souffrait ; sa poitrine oppressée et une angoisse inconnue lui serrait le cœur.

— Mais il voulait savoir.

Francin Renard mit les dés et l’eau-de-vie sur la table. On but d’abord, puis le vieux Carhoat jeta une paire de dés dans son cornet.

Sa main frissonna en touchant le cuir bouilli du cornet : — un sourire vint à sa lèvre.

— Je vais jouer pour les deux, dit-il. — À vous les honneurs, Kérizat… J’amène pour vous.

— Un instant ! interrompit le chevalier, — sachons bien ce que nous jouons.

— La comtesse Anne, pardieu ! répliqua Prégent.

— Nous jouons cent mille écus de revenu, poursuivit Kérizat en trois parties dont les meilleures gagneront.

Le vieux Carhoat secoua les dés.