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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/760

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La Topaze lui souriait ; elle l’appelait ; elle lui disait à demi-voix des paroles passionnées.

— Amaury ! Amaury ! murmurait-elle, que je vous remercie de m’aimer !…

La porte du boudoir s’ouvrit, et une jeune fille, à la figure maligne et simplette à la fois, entra, tenant à la main un superbe bouquet de roses rouges.

— De la part de M. le lieutenant de roi, dit-elle en présentant le bouquet à sa maîtresse.

Celle-ci le prit, respira un instant la fraîche senteur des belles roses et le jeta auprès des autres bouquets qui se fanaient sur le tapis.

— Avec une lettre, reprit la jeune fille.

— Mets-là dans ma corbeille, répliqua la Topaze.

Il y avait sur la petite toilette, — un bijou de marqueterie ! — une corbeille fermée. La jeune fille l’ouvrit et jeta la lettre cachetée au milieu d’une multitude de lettres cachetées également, que contenait la corbeille.

C’étaient les oubliettes épistolaires de la Topaze. On y eût trouvé, signés au bas de madrigaux plus ou moins spirituels, les noms de toutes les familles historiques de Bretagne.

Et vraiment si la vengeance savait compenser les mépris du monde, Laure de Carhoat aurait eu là de quoi se consoler. — Car, à toutes ces belles dames qui détournaient la tête maintenant sur son passage, elle aurait pu renvoyer les lettres de leurs maris.

Mais Laure ne songeait point à cela.

Elle appela d’un geste caressant la jeune fille, qui refermait la corbeille.

— Viens ici, Aline, dit-elle.

Aline obéit et se mit à genoux sur un coussin aux pieds de la Topaze.

Aline était presque une enfant. Elle avait un joli visage, malin mais timide, qui devenait rose tout à coup quand on lui adressait la parole. Elle était petite et alerte. Ses beaux cheveux noirs se relevaient sous la coiffe coquette des filles de la forêt de Rennes.

Elle avait connu, tout enfant, Laure de Carhoat, lorsque le marquis possédait encore un manoir. Elle aimait Laure plus que tout autre chose en ce monde.

— Aline, lui dit mademoiselle de Carhoat, te souviens-tu de sa dernière lettre ?

— Oh ! oui, répondit la petite fille. Elle était bien longue et bien belle !…

— N’est-ce pas qu’il m’aime ? reprit Laure, dont la voix paresseuse prononçait à peine ces paroles, et qui rêvait.

— Oh ! oui, répliqua encore Aline.

— Quand on n’aime point, poursuivit la Topaze, — peut-on écrire de ces choses qui descendent jusqu’au fond de l’âme pour y ramener l’espoir éteint ?… Quand on n’aime point, trouve-t-on ainsi la route des cœurs fermés ?… Oh ! J’en suis sure, il m’aime !… et Dieu ne m’a point pris toutes mes chances d’être heureuse !…