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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/763

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C’est qu’elle était bien malheureuse ! Elle était tombée. Le monde impitoyable assistait à sa chute. Sous le brillant manteau dont elle se parait, il y avait une torture mortelle et une insupportable honte. Sa vie était une lutte à outrance. Elle s’était posée seule en face de la foule qu’elle bravait : elle avait défié ses anciennes rivales ; et, fière et indomptable, elle avait dit : Je les écraserai de mon sourire ! Je serai morte avant de m’avouer vaincue !…

Elle combattait : elle forçait sa souffrance à se taire et voilait son désespoir sous le calme de son orgueil.

Toutes celles qu’avait éclipsées autrefois sa beauté essayaient de l’accabler de leurs mépris, et lui jetaient son surnom de la Topaze comme un suprême outrage.

Elle se redressait contre le dédain, seule, en face de toutes. — Ce nom, qui était son opprobre, elle s’en parait comme d’une gloire, et se vengeait du dédain, en grossissant chaque jour les rangs de sa brillante cour.

À elle étaient tous les hommages. La jeune noblesse, affolée, se pressait sur ses pas, cherchant à surprendre un de ses sourires, mendiant à genoux un de ses regards.

Et jusqu’alors elle avait triomphé dans la lutte. — Ce qu’elle souffrait nul ne l’avait deviné, tandis que chacun assistait à sa victoire…

Elle avait rendu coup pour coup, dédain pour dédain ; — et les yeux de celles qui l’insultaient de loin s’étaient souvent mouillés de larmes.

Elle était si belle !

Mais un jour, au milieu de cette vie brillante dont le fracas assourdissait sa conscience, elle fut terrassée par un choc soudain.

Un sentiment nouveau donna une voix à ses remords.

Au dedans d’elle, une plainte s’éleva, et nul bruit ne put l’empêcher d’être entendue.

Jusqu’alors, elle avait passé dans la foule de ses adorateurs froide, insoucieuse, cruelle.

Elle avait fait de chacun d’eux un joyau de plus à sa parure, — ou plutôt un soldat dans cette armée soumise qui marchait à sa vengeance.

Elle ignorait son cœur ; ses sens ne parlaient point…

C’était à Nantes, durant l’été précédent.

Elle s’était échappée du milieu de sa cour comme une reine puissante et fatiguée d’hommages qui veut se reposer dans le calme de l’incognito.

Elle avait quitté Rennes, et sans que personne pût suivre sa trace, elle s’était rendue à Nantes, où, pendant quelques semaines, elle avait vécu retirée.

Là, tandis qu’elle était seule avec elle-même, un homme s’était rencontré sur ses pas ; — un cœur noble et fier, comme Dieu avait fait le sien.

Ces natures robustes et superbes qui attendent pour aimer aiment avec délire.

Laure se croyait à l’épreuve. — Elle avait vu tant de passions autour d’elle !

Elle se vantait encore au fond de son cœur d’être invulnérable, que déjà la