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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/813

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Laure avait jeté sur ses épaules une mante de soie noire dont les plis amples et longs dissimulaient les perfections reconnaissables de sa taille. — Elle avait mis sur son visage un voile épais.

Elle traversa les rues de Rennes, où quelques jeunes gentilshommes préludaient aux espiègleries bruyantes qui se jouaient la nuit en plein air, et qui étaient de merveilleux goût à Paris comme en Bretagne.

On lui barra le passage en riant, on lui fit des déclarations grotesques, et quelques mains hasardées s’approchèrent même de son voile pour le soulever.

L’inconvénient n’eût point été aussi grand alors que de nos jours, car les réverbères étaient rares dans la cité bretonne ; néanmoins, quelques lueurs égarées, sortant des maisons voisines, auraient pu éclairer les traits si connus de Laure ; — mais parmi les jeunes espiègles, il y avait des cœurs chevaleresques qui prirent fait et cause pour la belle inconnue.

On lui laissa son voile, on l’escorta même jusqu’à la rue aux Foulons, et, quand elle entra dans l’auberge, un chœur de compliments l’y accompagna.

Le chevalier de Talhoët était déjà sur son lit ; la fatigue et une abondante perte de sang ne lui permettaient point de rester debout sans danger.

Le chirurgien était à ses côtés et posait le premier appareil sur ses blessures.

Laure n’osa point relever son voile devant ce témoin, et se tint à l’écart.

Elle voyait le chirurgien étancher le sang de M. de Talhoët, qui était pâle et semblait bien faible.

À ce spectacle son cœur défaillait. — Elle était venue chercher de la joie, et, au lieu du bonheur promis, elle trouvait de la douleur…

Talhoët tournait vers elle son visage souriant et heureux. C’était une façon muette de lui souhaiter la bienvenue. — Mais sous ce sourire, il y avait tant de fatigue et de souffrance !…

Le chirurgien posait les appareils de son mieux, et, tout en s’acquittant de cette tâche, il maugréait contre les mains maladroites qui avaient fait ces blessures.

— Voici un coup de couteau, monsieur le chevalier, disait-il, — qui est porté de la façon la plus malheureuse ! les chairs sont mal tranchées… Il est pitoyable d’être frappé ainsi avec des couteaux qui ne coupent pas !

Talhoët, qui ressentait en ce moment l’atteinte de la main lourde de l’opérateur, laissa échapper un gémissement faible.

Cette plainte répondit jusqu’au fond du cœur de Laure.

— En se mettant en contact avec les lèvres de votre plaie, monsieur le chevalier, reprit le chirurgien, — mon doigt a dû vous causer une légère sensation de douleur… Ne faites pas attention à cela, je vous prie… c’est la moindre chose… mais on disait que ces diables de Loups avaient quitté la forêt de Rennes pour s’établir dans la ville même !… Il paraît qu’il en est resté quelques-uns, puisque monsieur le chevalier a été attaqué par eux… Veuillez étendre le bras, s’il vous plaît, pour que je bande cette piqûre

Le chirurgien mit une compresse sur l’avant-bras de Talhoët et poursuivit :