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Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/113

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Si, dès le début, nous nous égarons à cent lieues de la question, je serais privé de vos excellents conseils qui tomberont nécessairement à faux. Je pouvais être un enfant, hier ; je penche à croire même que j’étais un enfant dans toute la force du terme ; mais je suis un homme aujourd’hui…

La princesse sourit.

— Un homme, madame, répéta Gaston ; j’espère vous en fournir la preuve dans le courant de cet entretien. Quant à devenir fou on dit que c’est le lot des esprits très vifs et des imaginations brillamment surabondantes ; en mon âme et conscience, je me sens au-dessous de ce péril : je ne suis pas assez bien doué pour devenir fou. Mon caractère froid, positif, et même prosaïque, a du moins cet avantage de me mettre à l’abri.

— Passons marquis, passons ! s’écria la princesse impatientée.

— Je passe à la chanteuse, madame ; et puisque vous m’avez imposé la franchise, j’avoue naïvement que je suis étonné et blessé de cette insinuation. J’ai atteint depuis longtemps l’âge où l’on fait des fredaines, et je ne suis pas à m’apercevoir que la régularité de ma conduite a été pour mes camarades un sujet de moquerie. Je croirais même pouvoir affirmer que parfois le sourire de ma mère…

— Oh ! Gaston !…

— Mon Dieu, madame, jeunesse qui ne se passe pas, comme on dit, a le privilège de faire naître le sourire… J’ai donc vécu comme un petit saint. D’un autre côté, aucune crise de maladie, chevaleresque ou romanesque, n’a jamais troublé le cours de ma vie, paisible comme ce beau petit ruisseau qui arrose votre parc de Chelles, et auquel vous reprochez si amèrement de n’avoir ni cascades écumantes, ni vagues irritées… Si je n’étais pas cadet de Montfort, je dirais que j’ai dans les veines un bon sang bourgeois gardant, depuis le premier janvier jusqu’à la Saint-Sylvestre, sa