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Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/146

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on me fera soldat de la République. J’aime mieux mourir pour Dieu et le roi. N’est-ce pas une noble cause, ma sœur ?

Sainte ne répondit point. Au fond de son cœur peut-être chacune de ces paroles trouvait un écho ; mais elle n’eût point voulu donner tort à son père.

— Écoute, reprit René, d’autres motifs encore m’obligent à partir ; il se passe ici des choses que tu ne vois point et que tu ne saurais comprendre. M. de Vauduy n’est pas ce qu’il paraît être. Jean Brand ne couche point la nuit dans son lit, et l’heure approche où les bois de Saint-Yon retentiront du bruit des fusils ; mais ce ne sera plus le joyeux fracas de la chasse.

— Que veux-tu dire ? s’écria Sainte.

— Un jour, ce fut la dernière fois que je vis notre bon curé, en me disant adieu, il me baisa au front, et je sentis une larme rouler sur ma joue : « René, murmura-t-il à mon oreille, de malheureux temps vont venir ; la guerre civile et ses fureurs rompent parfois les liens de famille. Quoi qu’il arrive, mon fils, souviens-toi du divin précepte, et ne te fais pas l’ennemi de ton père ! » Cette parole est restée dans mon souvenir, et je pars.

Sainte baissa douloureusement la tête.

— Toi ma sœur, toi qu’on aime, toi que nul malheureux ne peut voir sans se rappeler un bienfait ou une consolation, tu restes avec lui, tu seras son égide. Pour moi, mieux vaut l’abandonner que d’être forcé de le combattre.

Sainte frissonna de la tête au pieds.

— Pars ! s’écria-t-elle, oh ! pars bien vite, mon frère !

René déposa un dernier baiser sur son front, et disparut sur la route de Vannes.

Il se faisait tard ; Sainte reprit le chemin de la demeure de son père. En passant près de l’église, qui était fermée et déserte, elle s’agenouilla sur le seuil.

— Mon Dieu ! murmura-t-elle, faites que cette