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Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/148

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tête ; plût au ciel qu’il en fût ainsi ! mais des signes que vous ne sauriez apercevoir annoncent une tempête à mes yeux plus clairvoyants. Non ! je ne puis rester ; lors même que ma tranquillité personnelle serait assurée, je ne pourrais rester encore. Mon devoir m’appelle, ma fille, et la vie du prêtre n’est qu’une longue obéissance à la voix du devoir.

Il prit la main de Sainte et la serra entre les siennes.

— Vous êtes bonne, continua-t-il, je puis le dire, moi qui lis dans votre jeune cœur comme dans un livre ouvert. Si les orages politiques pouvaient être conjurés par l’influence d’une âme angélique, votre père et tout ce qui vous est cher serait à l’abri ; mais c’est une haine folle et furieuse que celle qui pousse les uns contre les autres les enfants d’une même patrie. C’est une haine implacable, qui rend aveugle et sourd, qui durcit le cœur et le ferme à tous les sentiments de la nature. Priez Dieu, Sainte, priez !… mais travaillez aussi, et souvenez-vous que, dans ces luttes dénaturées, le rôle d’une femme chrétienne est tout de charité, de paix et de clémence. Commencez donc, enfant, votre rôle de femme, et soyez, au milieu de nos discordes intestines, l’ange de la conciliation et de la pitié !

Avant que la jeune fille eût le temps de lui répondre, l’ancien curé de Saint-Yon s’inclina profondément devant la croix de son église, et disparut derrière les ifs touffus du cimetière.

Sainte était triste, mais elle se sentait forte et courageuse. Ce rôle que le prêtre venait de lui tracer, c’était celui qu’elle avait choisi d’elle-même dès que sa jeune intelligence avait pu entrevoir et comprendre le malheur des temps. Chouans et Bleus étaient également ses frères.

— Je serai toujours du parti des vaincus, se dit-elle, et Dieu me récompensera en faisant qu’un jour mon père et mon frère se retrouveront et s’embrasseront.