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Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/156

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IV

MARIE BRAND


Grâce à l’achat national qu’en avait fait M. de Vauduy, ou mieux le citoyen Vauduy, le noble château de Rieux n’avait subi aucune dégradation. Il s’élevait entre ses quatre douves, défendu par sa ceinture de remparts dix fois séculaires, et protégé par huit tourillons qui flanquaient deux à deux, chacun des quatre angles de ses ailes. Au-dessus de la grand’porte, l’écusson de Rieux : d’azur aux neufs macles accolées d’or, avait été gratté et remplacé par une couche de badigeon : c’était la seule marque qu’y eût laissée le passage des cohortes républicaines.

À l’heure où Sainte reprenait, seule, le chemin de la maison de son père, il y avait trois personnages rassemblés dans le grand salon du manoir. Assis dans un vaste fauteuil, sous le tablier de la cheminée, Jean Brand, en costume de paysan, les deux pieds sur les chenêts, causait avec M. de Vauduy à voix basse. Le riche gentilhomme et le pauvre villageois semblaient se traiter d’égal à égal, et souvent les opinions du premier étaient rudement repoussées par le second. Le troisième personnage portait un large chapeau rabattu sur ses yeux, et tout son costume disparaissait sous le manteau qui le couvrait complètement. Étranger à la conversation, il arpentait lentement la salle et s’arrêtait de temps à autre devant quelqu’un des vieux portraits de familles qui s’alignaient en cordon le long des hauts lambris.