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Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/182

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quitte pour quelques coups de crosse, et j’ai la tête dure ; et d’un ! Le lendemain ce fut une autre fête. Nous sortîmes du Trou-aux-Biches avant le jour pour surprendre les Bleus ; nous les trouvâmes endormis… Votre père était là, Mam’zelle.

— Mon Dieu ! qu’allez-vous m’apprendre ? murmura Sainte.

— Attendez donc ! Il eut le temps de s’armer, et vint à notre rencontre comme un brave homme qu’il est, quoique pataud. Il se trouva en face de M. de Vauduy, son ancien camarade… Voyez-vous, Mam’zelle, dans ces guerres de Français à Français, il n’y a pas d’amitié qui tienne : souvent même l’idée qu’on a devant soi un ami vous pousse et vous met le diable au corps. Vauduy est maître en fait d’armes. Il reçut votre père, ferme sur la hanche, et allait l’embrocher, lorsque je l’ai terrassé d’un coup de crosse, priant le citoyen votre père d’aller voir à deux lieues de là si j’y étais par hasard. Voilà ?

— Quoi ! sauvés tous deux ! sauvés par vous ! dit Sainte, qui fondit en larmes. Que faire pour vous prouver ma reconnaissance ?

— Voulez-vous me rendre bien content ? dit Brand, qui se sentit rougir sous le cuir bronzé de sa joue.

— Parlez, que faut-il faire ?

Brand ouvrit ses bras.

— Embrassez-moi, mam’zelle Sainte, mais là, bien comme il faut, comme une bonne fille embrasse son vieux père.

Sainte se jeta à son cou.

Le bedeau souriait et pleurait en même temps.

— Merci 1 dit-il. Maintenant je ne vous dis pas au revoir, mam’zelle Sainte, car je ne vous verrai plus ; j’ai frappé mon officier ; nous avons, nous aussi, une discipline. Adieu.

Sainte ne comprit pas tout d’abord ; mais bientôt la réalité lui parut tout entière.