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Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/185

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Comme il sortait, il rencontra Jean Brand.

— Bedeau, mon ami, dit-il, pourquoi es-tu revenu ?

— J’avais donné ma parole.

— Une parole est quelque chose, mais la vie est davantage. Tu m’as frappé, tu dois mourir. Mais ce n’est pas une chose dérisoire que de fusiller un brave tel que toi, la veille de notre mort à tous !

— Cela vous regarde, dit froidement Jean Brand ; vous m’avez laissé vingt-quatre heures pour aller jusqu’à Saint-Yon, où j’avais à remplir un devoir. Ce devoir est rempli, me voilà.

— Jean Brand, mon ami, répondit Vauduy, avec une égale froideur, ce que tu fais là est peut-être fort beau, mais, Mademoiselle et toi, vous êtes les deux plus grands fous que je connaisse.

Puis il ajouta en bâillant :

— Reste si cela te plaît, va-t’en si tu veux. Demain, au point du jour, si tu es encore là, et qu’on ait du temps à perdre, on te fusillera.

Et Vauduy, succombant à la fatigue, se roula dans son manteau et s’endormit.

— L’excès du péril peut-il donc tuer à l’avance, comme un feu trop violent brûle de loin ? murmura Jean Brand ; cet homme n’a plus ni espoir, ni crainte, ni tendresse, ni haine ; son cœur s’est fait pierre, il est mort déjà.

Puis, profitant de la permission donnée, il saisit la canardière, et s’éloigna lentement, résolu à partager, le lendemain, le sort de ses compagnons d’armes.

Sainte était rentrée dans la cabane. La pensée du sort qui attendait Jean Brand gâtait sa joie. Cette joie elle-même, d’ailleurs, n’était point sans mélange. Le citoyen Saulnier et René vivaient ; ils avaient échappé tous deux, comme par miracle aux affreux dangers de cette guerre d’extermination ; mais ils allaient se trouver en présence. Le Médecin bleu savait-il que son fils était revenu ? René, lui-même, n’ignorait-il point que