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Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/24

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que le juge de Szeggedin ne se dérangerait même pas pour une couple de mécréants pendus aux arbres de mon parc ! Vous voilà avertis !

« — Seigneur, répliqua lentement Mikaël, c’est toi qui es averti ; tu as assez de serviteurs pour veiller sur ta fille et tu nous dois une récompense parce que nous t’avons mis en garde.

« — Qu’est-ce que c’est que le vampire Angel ? interrogea Lénor toute tremblante.

« Le blond Solim répondit en essuyant son front baigné de sueur :

« — C’est le plus jeune des frères Ténèbre.

« — Et qu’est-ce que c’est que les frères Ténèbre, coquin ? s’écria le prince sérieusement irrité.

« — Tu as le droit de m’outrager, seigneur, répliqua le grand Mikaël avec son calme imperturbable ; tu es fort et je suis faible. Tu as le droit de me chasser aussi sous la tempête qui gronde et de me faire battre par tes slovaques : mais je ne peux te dire autre chose que la vérité : les frères Ténèbre sont deux morts.

« Lénor se réfugia tout près de son père, pendant que Solim répétait comme un écho :

« — Deux morts !

« Le prince prit sa fille entre ses bras et dit à l’aîné des deux Rômi :

« — Explique-toi.

« — Hospodar, commença aussitôt Mikaël, ceux-là sont-ils morts et bien morts qui ont été balancés par le vent, durant trois nuits et trois jours à la potence ? Nous errons sans cesse, vous le savez, à la poursuite du pain qui jamais n’assouvit notre faim maudite. En allant d’Itèbe à Semlin, on trouve le gibet du magnat Karolyi, lieutenant du ban de Temeswar ; nous passâmes près de là le 27 octobre de l’an dernier, trois jours avant votre fête chrétienne de tous les saints. Il y avait au gibet deux hommes pendus : un grand, et un petit. Nous les dépouillâmes pour ne rien perdre,