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Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/28

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tribus, sous les remparts de la ville, entre le cimetière et le noir fossé baigné par la Drave, où l’on jette pêle-mêle les animaux morts et les suppliciés. Nous pensâmes qu’il y avait une fête dans la ville, car une nombreuse affluence de paysans se pressait aux portes. On nous permit d’entrer ; la fête était une exécution à mort par le glaive. Sur l’échafaud, nous vîmes deux condamnés, un grand et un petit. Et deux noms étaient dans toutes les bouches : les frères Ténèbre ! Hospodar, les têtes tombèrent : je les vis de mes yeux…

« — Les têtes tombèrent, répéta Solim, et les têtes roulèrent sur le plancher de l’échafaud.

« — Et nous revînmes au campement, reprit Mikaël, derrière la charrette qui emportait la besogne faite du bourreau. Les deux têtes et les deux corps furent jetés dans le fossé, devant nous, tandis que, de l’autre côté de nos tentes, on emportait au cimetière une pauvre enfant de quinze ans…

« — Son nom ! le nom de la morte ! demanda Lénor, étonnée elle-même de cette curiosité, qui la prenait.

« — Efflam… répondit Mikaël de sa voix retentissante.

« Solim, les yeux baissés, répéta de sa douce voix :

« — Efflam !

« Mais Lénor ne l’entendit pas. Au nom d’Efflam pour la première fois prononcé elle avait porté ses deux mains à son cœur et s’était affaissée privée de sentiment, entre les bras de son père… »

Ici, M. le baron d’Altenheimer fit une pose et monsignor Bénédict en profita pour dire d’une voix que chacun remarqua, tant elle était musicale et suave :

— J’admire la mémoire de M. le conseiller privé, mon très cher frère. Pendant qu’il parlait, il me semblait entendre ce scélérat de chevalier Ténèbre raconter son histoire ; car personne ici n’a été sans deviner Mikaël le prétendu Tzigane, Zeguem ou Szégan, comme on dit en différents dialectes, Mikaël, le Rôme,