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Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/58

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autre démon, le choléra-morbus, rien qu’en franchissant les limites du département de la Seine !

La différence est grande entre un fléau à l’état de curiosité et un fléau vivant, présent, menaçant. M. le baron d’Altenheimer avait eu beau dire : Les frères Ténèbre sont à Paris ; les paroles ne valent pas les faits, et l’incendie n’arrache un cri que si l’on en voit au moins la fumée. Les frères Ténèbre affirmaient leur présence par un vol « invraisemblable, » selon la propre expression de M. le préfet de police. À la bonne heure !

Ce baron allemand grandissait du même coup dans l’opinion générale. Il s’établissait une corrélation naturelle entre lui et ces superbes bandits, dont il était l’Homère. Beaucoup parmi ces dames trouvaient désormais quelque chose d’intéressant — et d’étrange — dans cette grande figure blême, mal attachée sur ses disgracieuses épaules.

L’intérêt devait aller plus loin que cela. Pendant qu’on faisait cercle autour des deux prélats, causant avec le préfet de police, un domestique entra et remit une lettre à M. le baron. Ce domestique portait une livrée inconnue. M. le baron prit connaissance de la lettre discrètement et hocha la tête d’un air soucieux en échangeant quelques paroles avec son frère ; puis il traversa, de son pas grave et lourd, toute la largeur du salon et vint droit à l’archevêque de Paris.

— Monseigneur, lui dit-il, je n’avais pas besoin pour souhaiter d’être introduit près de Votre Grandeur, d’un motif autre que la vénération dont je fais profession pour votre personne, et néanmoins j’avais un autre motif. Je savais que les frères Ténèbre devaient venir dans votre château archiépiscopal, ce soir.

Il y eut un grand silence autour de l’archevêque qui pâlit légèrement.

— Ils ne trouveront pas ici la galerie de Condé, murmura-t-il pourtant avec un sourire.