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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/151

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qu’importe cela ? je t’aime, tu auras tout ce que j’ai. Tu l’as déjà, car je suis un mort. Je ne verrai plus ni les grands bois de châtaigniers, là-bas, dans notre île, ni les maquis de myrtes, ni la mer bleue, ni le pavé de ma propre rue, recouvert de paille pour que je ne l’entende plus sonner sous les roues… As-tu de la mémoire ? s’interrompit-il soudain. Dis à L’Amitié que la poire est mûre dans la maison qu’il sait bien, mûre, parfaitement mûre. Il faut la cueillir. S’il marche rondement, je verrai encore cela, et ce sera ma dernière affaire. »

La comtesse eut aux lèvres une nuance de dédaigneuse pitié.

« Vous avez pourtant eu le prêtre ! murmura-t-elle.

— Je l’ai eu, répliqua le malade. Cela est convenable et bon pour le quartier.

— Qu’avez-vous pu dire ?…

— Ma fille, l’interrompit le colonel avec une sévérité grave, je suis d’un pays où l’on croit, et d’un temps où l’on croyait : J’ai vu les brigands calabrais et les gens de l’Encyclopédie, ils parlaient haut tant qu’ils avaient bon pied, bon œil ; mais, les uns comme les autres, ils n’étaient pas fiers pour mourir. J’ai dit ce qu’il fallait dire, tout juste…

— Mais votre pensée pèche encore ! s’écria la comtesse de bonne foi.

— Plus bas ! il y a là une sainte religieuse… pourquoi riez-vous, fillette ? L’homme pèche toujours et se repent sans cesse : voilà la conscience. »

Il ferma ses yeux fatigués et reprit haleine en un râle. Mais sa force était loin d’être à bout, car il demanda en tourmentant ses draps :

« Combien sont-ils là-bas à attendre ma mort pour défaire mon lit et fouiller ma paillasse ?