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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/200

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seul coup ! En avant, plus rien à désirer ; en arrière, plus rien à craindre ! Combien crois-tu que peut rapporter un billet de mille francs, prêté sans intérêt à un va-nu-pieds, pendant quinze ans ? Est-ce assez de quatre millions ? Ne te gêne pas : on pourrait aller à six. Ah ! ah ! la poire est mûre, le vieux le disait bien ! Et tu ne me trahiras pas, Mathieu, entends-tu, parce que tu sais bien que je vais les jouer tous par dessous jambe ! Deux temps, deux mouvements ! allez ! Dans trois jours, mon camarade, tu auras gagné le gros lot : assez de profils du roi citoyen, sur or et sur argent, pour acheter un demi-cent de femmes, puisque tu aimes ça, l’ancien ! J’entends des femmes qui ne se vendent pas, hé ! sans compter toutes les aises de la vie et l’amitié d’un grand homme qui est un bienfait des dieux, dit la chanson.

— Non, la tragédie, rectifia paisiblement Trois-Pattes.

— La tragédie, si tu veux, car tu t’y connais, vieux drôle ! Regarde-moi bien ! avons nous l’air d’un conscrit, hé ? Je n’aborde ces questions-là qu’au dernier moment, moi. Dans une heure, si je voulais, tu serais en route pour le bagne ! »

Trois-Pattes baissa les yeux sous la prunelle fixe de M. Lecoq.

Ce résultat mit le comble à l’exaltation orgueilleuse de celui-ci.

« Je te tiens comme les autres, poursuivit-il, et c’est tant mieux pour toi, car si tu n’avais pas une de mes cordes autour de la nuque, je me défierais de toi. Et quand je me défie de quelqu’un… Assez causé ! Tu vaux ton prix, et ça m’aurait fait de la peine !

— Patron, lui dit naïvement Trois-Pattes en relevant sur lui ses grands yeux attristés, je vous jure que je fus plus malheureux que coupable. »