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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/50

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modelés, mis au four et vernis avec un soin non pareil, vous ont vingt fois croisés dans la rue et vous ne les avez pas remarqués.

Qu’y faire ?

Mais M. Bruneau, à la bonne heure, vous ne connaissez que lui ! Ce n’est pas celui-là qui vous offensera par des prétentions à l’originalité. Son type est usé comme un vieux sou ; sa physionomie est plate comme l’habitude…

Et pourtant, au risque de faire de ce récit un habit d’arlequin tout bariolé de demi-teintes, nous vous dirons à l’oreille que le second coup d’œil s’arrêtait sur M. Bruneau, surpris et presque effrayé. Sous la placide pesanteur de son allure, il y avait je ne sais quoi qui était une puissante originalité. Vous eussiez dit, au troisième coup d’œil, que ce terne et débonnaire visage cachait quelque terrible secret sous un masque de plâtre. Une grandeur latente était là, une beauté aussi, une pensée… Mais qui donc accorde un troisième regard à un M. Bruneau ?

En s’asseyant, il tira une grosse montre d’argent qu’il consulta, pensant tout haut :

« Il n’est que neuf heures à la Bourse. Nous avons le temps de bavarder.

— Puis-je savoir enfin ce qui vous amène ? demanda Maurice.

— Ce qui m’amène, mon jeune monsieur ? oui, oui, naturellement… mais plus tard. Auparavant, j’ai idée de collaborer avec vous.

— Collaborer ! répétèrent à la fois Étienne et Maurice, l’un riant, l’autre sérieusement scandalisé.

— Pourquoi pas ? fit M. Bruneau, dont le sourire épais eut comme une arrière-nuance de moquerie. Je vous dis que j’ai des histoires… des tas d’histoires !