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Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/250

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— Ce sont là des exceptions, docteur, des exceptions qu’en dehors de mon bureau je ne rencontre guère.

— Je le sais, Duport. Pourtant, qui vous a dit que vous ne tomberiez pris dans ces exceptions ? Mais je ne veux rien exagérer pour ne pas affaiblir ma cause. Je vous ai signalé les cas mortels, auxquels tout le monde se croit sûr d’échapper ; j’en arrive maintenant à la série de ces petits désordres intérieurs qui rongent le bonheur et éteignent chaque matin la flamme joyeuse du foyer domestique, au malaise constitutionnel qui bannit la paix du sein de la famille. Avant d’aller plus loin, cette dissection sociale vous plaît-elle et dois-je continuer ?

— Comment donc, dit Duport. Le tribunal veut tout entendre ; c’est notre cause à tous qui se plaide là. Si vous dites la vérité, il nous faut la connaître ; sinon, nous l’apprendrons peut-être à nos dépens.

— J’expose mes illusions à vos coups, dit Martel, et je ne les crains point. Je ne me marierai jamais et ce n’est pour moi qu’affaire de curiosité que de savoir quels maux j’évite, à quels biens je renonce.

— Jeune homme, répondit de docteur, ne dites point cela tout haut : les jeunes filles comploteraient votre perte et l’une d’elles vous ferait mentir. À vingt ans l’on veut se marier tout de suite ou ne se marier jamais. La première fillette venue vous tourne la tête ; vous tombez à ses genoux ; les parents vous relèvent et vous mettent à la porte. Vous lui écrivez de se tenir prête, que dans quelques jours vous irez l’enlever et partirez avec elle pour New-York. Mais la monnaie vous manque pour acheter les billets de passage, et ce détail vulgaire vous ramène à la raison. La meilleure amie de la belle captive ; que vous avez choisie pour confidente, devient premier rôle. Votre passion s’en va et vous commencez à nourrir un autre projet d’enlèvement qui n’aboutira pas, toujours faute de monnaie.