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Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/60

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L'HIVER

hardie. Je l’essaierai pourtant, dût ma plume se couvrir de frimas et le lecteur à jeun grelotter sous mes froides plaisanteries.

Au fait, ne médisons pas de l’hiver, lors même qu’il y aurait dans nos rues et sur nos phrases deux pieds de neige de plus. La vraie saison du Canada, c’est l’hiver, l’hiver aux jours clairs, aux nuits sereines. Nous n’avons point de printemps. Notre mois d’avril n’est qu’un long dégel, qu’une mare de boue et de neige fondue. Le mois de mai, le mois des poètes, n’est ici qu’une suite d’averses qui, avant de féconder la terre, trempent les hommes ; il n’offre au regard qu’une longue série de parapluies ondulant sous les gouttières d’un bout à l’autre de nos rues. Notre été n’est qu’un abrégé, à l’usage des pays nouveaux, des beaux étés de France et d’Italie. L’automne vaut un peu mieux ; mais bientôt les premières neiges viennent précipiter la chute des feuilles et gâter l’effet des gazons jaunissants.

Le triomphe de notre climat, c’est l’hiver ; la nature canadienne y prend sa revanche sur ses rivales des pays méridionaux. Il n’y a que la Russie et quelques autres pays favorisés du froid, qui puissent montrer, comme nous, d’éblouissants tapis de neige étendus à perte de vue dans les campagnes ; et après tout, la neige, étalant sa blancheur immaculée, miroitant au soleil, vaut bien la verdure, qui ne brille qu’après la pluie !

Notre climat atteint sa perfection lorsqu’il y a dix pieds de neige dans les champs et que les nez gèlent avant d’avoir le temps d’éternuer pour appeler au secours. Ceux qui alors regrettent l’ombre tant vantée des grands bois et le murmure des clairs ruisseaux, ne sont pas de bons Canadiens. Le froid perçant, la neige, le vent du nord, font partie de notre patrie, il les faut aimer ; s’ils redoublent, il faut s’en frotter les mains, d’abord pour les réchauffer, ensuite en signe de réjouissance patriotique. Il n’y a vraiment que les âmes tièdes