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Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/80

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Le transport le plus pénible, c’est le transport du piano. Ce meuble harmonieux peut devenir une cause de mort pour des gens qui n’ont pas même à se reprocher d’en avoir joué. Dans un escalier étroit et rapide, il est menaçant, quoique silencieux, plus menaçant que lorsqu’il imite les bruits du tonnerre et le vacarme des batailles sous une main novice encore.

Il écrase les gens qui le portent. On les voit prêts à succomber sous le poids de l’harmonie condensée, et les notes ne bougent pas ; mais enfin un vigoureux coup d’épaule, semblable à ce cri suprême que pousse un chanteur pour rattraper l’air qui s’en va, sauve la situation et le piano.


Il y a des gens d’humeur vagabonde qui déménagent tous les ans, en jurant, chaque fois, que c’est la dernière. Aussitôt qu’arrive le mois de février, ils ne tiennent plus en place et on les voit en quête d’un nouveau logement qui n’ait point les inconvénients des logements qu’ils ont occupés précédemment. Cependant le dernier est toujours le plus mauvais, et si telle ou telle maison, que l’on a quittée avec dégoût était à louer, on la reprendrait avec empressement. On a été bien fou après tout de ne s’en pas contenter. Il n’y a pas de maisons parfaites, pourquoi s’obstiner à en chercher ? Pourtant, il n’y a pas moyen de garder celle que l’on a.

L’ambition de tous les locataires, c’est d’avoir une maison à eux pour la rebâtir en détail. Un propriétaire qui écoute ses locataires est un homme perdu. Il commence par réparer une chambre et il finit par rebâtir la maison. Encore se rencontre-t-il parfois un dernier locataire qui lui demande de changer le terrain mal situé à son gré.

S’il y a des gens qui se font une gloire de n’avoir jamais quitté le toit de leurs pères, même pendant qu’on le remettait