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Page:Fabre - Les Auxiliaires (1890).djvu/156

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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

s’établir en ménage. Bref, cet oiseau ne connaît pas les douces joies de la maternité ; incapable d’élever une famille, non par vicieux travers, mais par fatale nécessité, il abandonne ses œufs aux soins de la charité publique.

Jules. — Alors l’œuf de coucou trouvé dans le nid du jardin devait être soigné par la fauvette ?

Paul. — Précisément. Or, voyez un peu par quelle suite d’étonnantes combinaisons l’œuf étranger est adopté par une autre mère. N’oubliez pas que le coucou vit absolument d’insectes. Il faudra des chenilles au nourrisson élevé par une mère qui n’est pas la sienne. Où trouver cette nourriture, si ce n’est dans les nids des espèces vouées au régime des insectes, comme les fauvettes, les rouges-gorges, les mésanges, les rossignols, les traquets, les lavandières et autres. C’est à ces nids précisément que le coucou s’adresse. Il lui arrive quelquefois encore de confier son œuf à des oiseaux qui vivent de graines, comme les linottes, les bouvreuils, les verdiers, les bruants ; dans ce cas même, une admirable prévision détermine le choix ; car si les parents adoptifs se nourrissent de grains, ils élèvent leur famille avec des vermisseaux, de digestion plus facile, et le jeune coucou trouve ainsi dans la maison étrangère son alimentation du premier âge. Tout au contraire, l’œuf n’est jamais déposé dans les nids des cailles, des perdrix et des diverses espèces dont les petits vivent de grains dès leur sortie de la coque. Au sein d’une famille dont les usages alimentaires ne seraient pas les leurs, les nourrissons périraient infailliblement de faim.

Jules. — Comment donc fait le coucou, cherchant un nid où déposer ses œufs, pour reconnaître ainsi le genre de nourriture des propriétaires ?

Paul. — Si c’était par discernement, j’avoue que la sagacité du coucou dépasserait celle de l’homme ; mais il y a dans le choix si rationnel de l’oiseau simple inspiration inconsciente, comme nous en montrent tant d’exemples les merveilleux actes de l’instinct. Une prescience supérieure a tout combiné ici pour la réussite, sans la participation réfléchie de l’oiseau. L’œuf, qui d’après la taille du coucou devrait égaler en grosseur ceux du pigeon ou de la tourterelle, n’a guère que le volume de ceux du moineau, afin de trouver place dans le tout petit nid de la fauvette et même du troglodyte, et de ne pas éveiller la méfiance de la mère adoptive