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Page:Fabre - Les Auxiliaires (1890).djvu/213

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SUR LES ANIMAUX UTILES À L’AGRICULTURE

cheminer le morceau. Il faut parfois des heures, parfois la journée entière pour cette laborieuse déglutition. Il n’est pas rare que la moitié antérieure de la proie soit déjà soumise au travail digestif de l’estomac, tandis que la moitié postérieure n’a pas encore franchi le gosier et attend hors de la gueule.

Arrivons aux couleuvres. Aucune d’elles n’a de crochets venimeux à la mâchoire ; leurs dents sont égales, fines, sans force, bonnes pour retenir la proie et venir en aide à la déglutition, aussi pénible que celle de la vipère, mais insuffisantes pour produire une sérieuse blessure. Ces animaux sont d’ailleurs très craintifs ; à la moindre alerte, ils se hâtent de fuir. Si la retraite leur est impossible, ils font bonne contenance pour en imposer à l’ennemi ; ils se roulent en spirale, dressent la tête, la balancent, soufflent et cherchent à mordre. Il n’y a pas lieu de s’effrayer de ces menaces ; une égratignure sans aucune gravité, pareille à quelques légers coups d’épingle, c’est tout ce qui peut nous arriver de pire. Il n’est personne qui, mettant la main dans un buisson, n’ait été blessé plus grièvement par les épines.

Jules. — Si ce n’est pas plus dangereux, je n’hésiterais pas à prendre une couleuvre avec les mains.

Paul. — Je ne vous dis pas cela pour vous engager à prendre ces animaux et vous en servir de jouet ; je désire, au contraire, que vous les laissiez tranquilles, mais je désire aussi dissiper une frayeur que rien ne motive : cette frayeur du serpent, si répandue dans les campagnes. La peur, mauvaise conseillère, jamais ne fait œuvre méritoire en lapidant la bête trouvée dans un trou de mur ; le passant l’assomme de son bâton, s’il la rencontre traversant la route ; le faucheur, au milieu des herbes, lui tranche la tête d’un coup de faux. S’ils n’écoutaient pas une folle frayeur, une aversion non raisonnée, ils laisseraient la bête en paix, et les choses n’en iraient pas plus mal ; car les couleuvres, non seulement sont inoffensives, mais encore nous rendent d’excellents services, en détruisant, pour s’en nourrir, une foule d’insectes et de petits rongeurs, tels que les campagnols et les mulots. À ce point de vue, les couleuvres méritent protection, et non la haine implacable qui leur est généralement vouée.

Louis. — On dit que les serpents fascinent les oiseaux du regard et les attirent dans leur gueule ouverte par la seule