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Page:Fabre - Les Auxiliaires (1890).djvu/225

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SUR LES ANIMAUX UTILES À L’AGRICULTURE

fonde entre le têtard et le batracien adulte, entre la larve et l’animal parfait : le têtard vit dans l’eau et périt dans l’air ; la grenouille qui en provient vit dans l’air et périt dans l’eau.

Il y a plus. Le têtard se nourrit exclusivement de matières végétales ; il a la bouche armée d’une sorte de petit bec de corne pour brouter les feuilles aquatiques ; il a dans son gros ventre un intestin très long, enroulé plusieurs fois sur lui-même, pour prolonger le séjour de la maigre nourriture dans la panse et en extraire les sucs avares. Le batracien adulte échange ce bec de corne contre de véritables mâchoires armées de rugosités faisant office de dents ; il se nourrit uniquement de matières animales, d’insectes surtout ; il a l’intestin court, parce que les substances dont il s’alimente sont de digestion aisée et cèdent facilement ce qu’elles contiennent de nutritif.

Pour faire du têtard grenouille ou crapaud, la métamorphose ne se borne pas à changer de fond en comble les organes qui respirent et ceux qui digèrent. D’autres organes naissent dont l’animal au sortir de l’œuf n’avait pas le moindre vestige ; d’autres disparaissent sans laisser de trace. Le têtard naît absolument sans pattes. Au bout de quelque temps, les pattes postérieures lui poussent ; plus tard viennent les pattes antérieures ; plus tard encore la queue disparaît.

Jules. — Je me rappelle, en effet, avoir vu des têtards les uns avec deux pattes, les autres avec quatre ; mais tous avaient la queue.

Paul. — Lorsque la queue a disparu, l’animal n’est pas têtard, mais petit crapaud ou petite grenouille.

Émile. — La queue se détache-t-elle toute seule, ou bien l’animal se l’arrache-t-il ?

Paul. — Ni l’un ni l’autre. La queue est chose trop précieuse, pendant le travail de la métamorphose, pour la laisser perdre ainsi sans profit. Il y a là des matériaux en réserve, des économies de substance propre à faire autre chose dans le corps. Lorsque les pattes naissent, lorsque sont reconstruits sur un nouveau plan les organes qui digèrent et les organes qui respirent, ces créations nouvelles, ces retouches profondes, ne s’obtiennent pas avec rien. Il faut des matériaux de chair pour l’édifice de la vie, comme il faut des moellons pour l’édifice des maçons. Le têtard mange sans doute pour se fabriquer de la chair et faire face aux dépenses qu’entraîne