Aller au contenu

Page:Fabre - Les Auxiliaires (1890).djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54
RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

quelques regrets, le beau titre d’auxiliaire. Ce titre, en effet, elle ne le mérite qu’avec de graves restrictions. Pour atteindre les courtilières, les vers blancs et les larves de toute nature dont elle se nourrit, la taupe est obligée de fouiller entre les racines où le gibier habite. Nombre de racines qui l’entravent dans son travail sont coupées ; les plantes sont déchaussées, soulevées ; enfin la terre provenant des galeries creusées est amoncelée au dehors sous forme de monticules ou taupinées. Avec pareil bouleversement du sol, une plantation de végétaux annuels est bientôt compromise et un semis saccagé. Il suffit d’une nuit à une taupe pour mettre sens dessus dessous des étendues considérables, car la bête affamée est d’une singulière prestesse pour miner le sol où elle espère trouver de quoi manger.

Tout en elle est disposé pour la rapidité d’exécution des galeries de chasse, qu’elle prolonge jusqu’à des centaines de mètres. Le corps est trapu, rond, presque cylindrique d’un bout à l’autre, afin de glisser sans obstacle dans l’étroit couloir. La fourrure est courte, épaisse, soigneusement lustrée, pour ne pas laisser prise à la poussière et se maintenir d’une parfaite propreté, même dans la terre la plus friable et la plus facile à s’ébouler. La queue est très courte ; les oreilles externes manquent, quoique l’ouïe soit très fine. Ces divers appendices, parfois si développés chez les animaux qui vivent en plein air, seraient un embarras sous terre ; la taupe les supprime, comme trop encombrants. Pas de luxe, mais le strict nécessaire pour sa rude besogne de mineur. Des yeux grandement ouverts, accessibles aux grains de poussière d’un sol toujours remué, seraient pour elle une source de continuels tourments ; d’ailleurs qu’en a-t-elle besoin dans l’obscurité absolue de sa demeure ? La taupe n’est pas précisément aveugle, ainsi qu’on le croit d’habitude ; elle a des yeux, mais tout petits et enfouis, presque sans emploi, dans l’épaisseur de la fourrure. L’odorat la guide, un odorat subtil comme celui du porc, dont elle a le boutoir propre à déterrer le friand morceau que son fumet décèle. De son groin, le porc devine et trouve sous terre la truffe parfumée ; la taupe devine et trouve de même le ver blanc dodu. Pour l’atteindre à travers le réseau des racines et l’épaisseur de la couche de terre, elle a ses pattes de devant, qui s’élargissent en mains énormes, armées d’ongles d’une exceptionnelle vigueur. Ces