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Page:Faguet - En lisant Nietzsche, 1904.djvu/188

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pas la férocité de la bête de proie qui éprouve le besoin d’un travestissement moral ; mais la bête de troupeau, avec sa médiocrité profonde, la peur et l’ennui qu’elle se cause à elle-même. La morale attife l’Européen, avouons-le, pour lui donner de la distinction, de l’importance, de l’apparence, pour le rendre divin. »

Mais de ce qu’il devient difficile de revenir à l’égoïsme pur et de retrouver l’égoïsme dans l’état pur où il est beau, sain et fécond, ce n’est pas une raison pour ne pas essayer encore, et surtout ce n’est pas une raison pour que ce ne soit pas vrai que l’égoïsme est l’état naturel de l’homme et son état le meilleur. Il en est ainsi et il faut avoir l’intelligence de le comprendre et le courage de le dire. Ce qu’il y a au fond de l’homme sain, c’est l’égoïsme ardent, énergique et illimité, c’est la « volonté de puissance », c’est le désir d’extension, c’est le désir et le besoin d’être toujours plus grand, plus étendu, plus influent, d’étendre toujours son action plus loin, d’occuper toujours plus d’espace.

On se trompe un peu — si l’on peut se tromper en employant un mot si élastique et si malléable et si vague — quand on assure que le fond de l’homme, c’est le désir du bonheur. Si l’on entend par bonheur un état de repos, de tranquillité, de