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Page:Faguet - Le Libéralisme.djvu/228

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un langage de barbares vainqueurs dans un pays vaincu. Ces quinze millions sont si nombreux qu’ils pourraient former un peuple, voisin du nôtre. Diriez-vous dans ce cas : « Je les conquiers pour les déchristianiser. J’en ai le droit, parce que nous sommes plus nombreux qu’eux. Ils n’ont pas le droit d’être chrétiens, puisque par rapport à nous ils sont une minorité, » Ce ne serait pas autre chose que le droit de la force ; et précisément la théorie de la majorité souveraine en toutes choses, et le mépris absolu de la minorité n’est pas autre chose que le droit de la force, et appliqué à des compatriotes. C’est absolument monstrueux.

Et cela a une bien jolie conséquence. Ce système inventé, pour constituer l’unité morale du pays, tend précisément à la détruire. Comment voulez-vous que restent bons Français des gens qui trouvent dans la France un pays hostile, aussi hostile que le serait un pays étranger ? Ils se désaffectionneront très rapidement et auront à l’égard du gouvernement les sentiments d’un peuple vaincu pour un peuple vainqueur, puisqu’ils seront traités exactement comme l’est par un peuple vainqueur un peuple vaincu. Le gouvernement ne veut pas qu’il y ait « deux Frances ». Il ne le veut pas ; et c’est lui qui les fait. Et plus il en trouve deux, faites par ses soins, plus il s’acharne à prendre des mesures qui en feront deux toujours plus distinctes, plus séparées et plus hostiles. Voilà les beaux fruits