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Page:Faguet - Le Libéralisme.djvu/70

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gène et presque une souffrance. Un homme de telle classe, à telle époque, doit être ici et non ailleurs, et faire ceci et non autre chose. Si je rencontre un de mes amis à Paris au mois d’août (il y est, mais il ne fait qu’y passer, « entre deux trains ») il me dit : « Quoi ! vous n’avez pas quitté Paris ? — Non. Je vous demande pardon. » Je lui demande pardon, parce que j’ai senti dans sa parole un reproche et une douleur. Il me répond : « Oh ! vous êtes libre ! » Mais il y a dans ce mot une grande amertume et dans le ton quelque chose de pincé et déjà d’hostile. J’ai à peu près perdu un ami. — A Bordeaux, vers 1880, j’ignore si la tradition s’est conservée, les universitaires devaient habiter un certain quartier, un des plus vilains de la ville, du reste. « Et un tel ? demandai-je au doyen de la Faculté, en arrivant ? — Je ne sais pas. Il n’habite pas le quartier. » C’était dit sévèrement. Celui-là, il était mal noté. Ce n’était pas un très bon fonctionnaire. Il n’habitait pas le quartier.

De même pour le costume, pour l’allure, pour la démarche, pour le nombre de mètres que l’on couvre, en marchant, en cinq minutes, pour les promenades habituelles, pour les heures où l’on se lève et où l’on se couche. Tout anormal est un original, tout original est un excentrique, tout excentrique est un indépendant et tout indépendant cause une véritable souffrance morale à ceux qui ont le culte de l’uniformité, c’est-à-dire au