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Page:Falret - Études cliniques sur les maladies mentales et nerveuses, 1890.djvu/30

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ils se répandent en injures, en imprécations et en menaces de tous genres ; s’ils sont laissés en liberté, ils changent à chaque instant de domicile, poursuivent à outrance ceux qu’ils accusent d’être la cause de leurs maux imaginaires, et se livrent même souvent à des actes violents, qui supposent chez eux de grandes ressources d’intelligence pour les préparer, et une grande énergie de volonté pour les accomplir. Comment une classification digne de ce nom peut-elle admettre dans une même classe ces mélancoliques actifs d’esprit et de corps, et ces autres mélancoliques, en état de dépression physique et morale portée quelquefois jusqu’à la stupeur à divers degrés, dont nous avons esquissé à grands traits le tableau tout à l’heure ? Eh bien, indépendamment de ces deux catégories bien distinctes de faits, confondus aujourd’hui sous la même dénomination de mélancolie, il en existe, selon nous, une troisième, également bien différente sous plusieurs rapports, à laquelle nous réservons plus spécialement le nom de mélancolie anxieuse. Ces malades n’ont pas le degré d’inaction intellectuelle et physique des mélancoliques dépressifs, mais ils n’ont pas non plus les prédominance d’idées bien marquées et systématisées des mélancoliques de la seconde catégorie. Ils sont dans une situation extrêmement pénible de tristesse vague et sans motifs. Ils éprouvent une anxiété générale, plus forte que leur volonté, qui les domine malgré eux, dont ils ont parfaitement conscience, mais dont ils ne peuvent parvenir à se débarrasser. C’est une anxiété vague et indéterminée qui pèse de tout son poids sur leur esprit et sur leur cœur, qui leur fait apercevoir le monde extérieur sous les couleurs les plus sombres, et leur état intérieur sous un aspect plus sombre encore. Ils ne guériront jamais, disent-ils ; ils sont perdus à tout jamais. Ils sont les plus malheureux des hommes ; personne ne peut comprendre toute l’étendue de leurs souffrances. Ils ont un profond dégoût de la vie, une désaffection générale pour tous ceux qu’ils aimaient autrefois. Ils sont indignes de vivre, indignes des soins que l’on a pour eux. Ils sont des monstres, de grands coupables ; ils ne méritent pas qu’on s’occupe d’eux ; et cependant, ils ne peuvent s’empêcher de fatiguer tous ceux qui les entourent du récit de leurs souffrances morales. Ces malades, en proie à une anxiété vague et indéterminée, qui se résume le plus souvent dans une simple hypocondrie