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Page:Falret - Études cliniques sur les maladies mentales et nerveuses, 1890.djvu/520

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ne prêtent qu’une faible attention aux choses du monde extérieur.

Mais c’est surtout par le côté émotif que se caractérise cet état mental. Sous l’empire d’un sentiment de crainte indéterminé, ces aliénés ressentent des émotions involontaires et des terreurs instinctives, pendant le jour et pendant la nuit. Il leur semble qu’ils vont éprouver un grand malheur, qu’ils sont menacés, eux et leurs familles, d’une catastrophe ou d’un événement inattendu. Enfin, ils ont des impulsions instinctives à faire ou à dire du mal, à proférer des paroles injurieuses ou obscènes, ou bien à se faire du mal à eux-mêmes, à se jeter par la fenêtre ou dans la rivière. Il se produit alors chez ces mélancoliques un phénomène psychologique très singulier, mais qui a son analogue dans l’état normal : il consiste à se sentir à la fois repoussé et attiré par une idée ou par une action, de même que cela a lieu souvent pour un précipice, lorsqu’on est placé sur le sommet d’une montagne ou sur une tour élevée. C’est, en effet, une loi de l’esprit humain que les contraires s’attirent comme les semblables. Par cela même que ces malades ont la crainte d’être poussés malgré eux à faire du mal et qu’ils songent constamment à l’objet de leur crainte, ils s’y sentent comme invinciblement attirés.

Le même fait se produit souvent à l’état physiologique. Plus on cherche à écarter une idée, plus elle s’impose involontairement à l’esprit ; plus on s’efforce d’étouffer un sentiment ou un penchant naturel, plus il tend à se développer avec énergie. Ainsi les idées érotiques affligent surtout ceux qui veulent se plonger dans la contemplation religieuse et dans les moments de la plus grande ferveur. De même aussi les idées grotesques et ridicules s’offrent souvent à l’esprit dans les instants les plus sérieux de l’existence ! Eh bien, ces mélancoliques éprouvent des impulsions involontaires au suicide, à l’homicide, à commettre des actes violents ou à prononcer des paroles inconvenantes, et ces impulsions se produisent surtout chez eux dans les moments où ils les redoutent le plus. C’est, par exemple, à la vue d’un couteau ou d’un autre instrument quelconque qu’ils ressentent à la fois et la crainte d’être poussés instinctivement à s’en servir et le désir très vif de s’en emparer, pour le diriger contre eux-mêmes ou contre les personnes qu’ils affectionnent le plus. Aussi, dans la peur de succomber à la tentation, demandent-ils avec instance qu’on éloigne d’eux l’objet qui les attire ou qu’on les