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Page:Falret - Études cliniques sur les maladies mentales et nerveuses, 1890.djvu/528

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Or, les médecins aliénistes, connaissant toutes les modifications qui peuvent s’opérer dans le moral des aliénés, selon les moments où on les observe, déclarent qu’ils peuvent tous, sans exception, devenir dangereux ; les administrations, au contraire, dirigées par une idée économique ou pour sauvegarder la liberté des aliénés inoffensifs et leur séjour dans la famille, imposent aux médecins des asiles l’obligation de distinguer pratiquement les aliénés dangereux de ceux qui ne le sont pas. Cette question posée aux médecins spécialistes pour tous les aliénés en général, est surtout difficile à résoudre, lorsqu’il s’agit des aliénés raisonnants. Ces malades, en effet, lorsqu’ils restent dans leurs familles, y deviennent intolérables ; ils mettent le désordre partout où ils se trouvent, sont un objet continuel de luttes et de scandales, et rendent la vie impossible à tous ceux qui les entourent. Lorsque, au contraire ils viennent à être séquestrés dans un asile, ils y paraissent si raisonnables qu’on ne peut les y conserver longtemps, et l’on est bientôt obligé de les rendre à la liberté. Ils recommencent alors le même genre de vie qui avait déjà provoqué le premier placement et qui en motive un second, la vie en commun étant absolument impossible avec de pareils malades.

Telle est la succession la plus ordinaire des faits qui se produisent dans ces circonstances, et il ne peut guère en être autrement, parce que cela dépend de la nature particulière de cette forme de maladie mentale. Il ne faudrait pas croire pourtant que le plus grand nombre de ces malades fût inoffensif. Les uns, en effet, se portent réellement à des actes violents, justiciables des tribunaux, tels que l’homicide, le vol, l’incendie ou les attentats aux mœurs, et pour ceux-là le doute n’est pas possible. Mais ceux mêmes qui ne semblent pas avoir de penchants violents et qui paraissent inoffensifs dans le monde deviennent au plus haut degré insupportables et nuisibles dans l’intérieur des familles. Pour s’en convaincre il suffit de consulter les faits si nombreux rapportés dans le livre de Trélat, et de tenir compte de l’expérience de chaque jour pour se faire une juste idée des désordres et des malheurs de tous genres qu’entraîne la vie de famille avec de semblables malades. C’est un véritable enfer anticipé, et quand on les connaît réellement, on ne comprend que trop combien la séquestration de ces aliénés peut devenir indispensable pour la sécurité et la tranquillité des familles et de la société.